L’actualité n’incite guère à juger excessive la vision critique d’une Corse ne parvenant pas à se hisser à la hauteur de ses ambitions affichées ou se perdant dans la fuite en avant.
Sans crise politique, sans qu’ait été posée la moindre bombe, sans que des centaines de militants soient passés par la case prison, sans effusion de sang, l’Alsace pourrait devenir la première région ayant réussi à fusionner son conseil régional et ses conseils généraux. Elle prendrait ainsi une longueur institutionnelle d’avance sur notre région où, s’il est bon ton de brocarder la bi-départementalisation et de revendiquer une collectivité unique, l’on finit toujours par conserver l’une et rejeter l’autre. Nous assistons même, impavides, au ridicule consommé de partisans déclarés de la suppression du conseil général finissant par s’y faire élire et y siégeant non pour en dénoncer les travers mais pour en épouser les fonctionnements. L’Alsace pourrait aussi nous asséner une leçon de maturité politique car la fusion de ses collectivités régionale et départementales, signifierait la décision d’en finir avec les rivalités Haut-Rhin / Bas-Rhin et Strasbourg / Colmar. Cette région qui ne se prend pas pour une Nation et dont les habitants ne se rengorgent pas d’être un peuple « unitu » et ne crient pas « Tutti inseme,Tutti inseme » de l’aurore au crépuscule, réglerait ainsi un problème de campanilisme qui, chez nous, relève du bourbier, comme l’a démontré la récente querelle entre Ajaccio et Bastia concernant le choix du lieu d’implantation de la CCI régionale. Enfin, en prenant le parti de réunir ses collectivités locales majeures pour peser plus lourd face aux Länders et Cantons des voisins allemand et suisse, l’Alsace prendrait en compte cette concurrence économique et culturelle par le bon bout. Elle ferait dans le concret en unissant ses forces au service d’une même stratégie visant à gagner en puissance et en influence dans son environnement immédiat. Elle donnerait ainsi une belle leçon de réalisme à nous autres qui, de colloques en séminaires, du haut de nos 366 clochers et depuis nos deux petits centres urbains se regardant en chiens de faïence, affirmons vouloir jouer un rôle majeur aux quatre coins de la Méditerranée,
La trame du PADDUC tissée à Paris
Regard angélique porté sur ce qui se fait ailleurs, penserez-vous peut-être. On peut admettre la possibilité d’un excès de louanges en direction de nos amis alsaciens. En revanche, l’actualité n’incite guère à juger excessive la vision critique d’une Corse ne parvenant pas à se hisser à la hauteur de ses ambitions affichées ou se perdant dans la fuite en avant. En effet, le récent débat à l’Assemblée nationale portant sur le projet de loi relatif au PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse), a confirmé notre propension à être la grenouille qui se prend pour le bœuf. En effet, après avoir exigé durant des décennies que notre île maîtrise son développement, nous avons dû nous en remettre à la représentation nationale pour définir le cadre de l’outil devant dessiner et garantir cette maîtrise. En clair, après que la majorité régionale de droite n’ait pas réussi à élaborer un PADDUC défendable, la majorité de gauche s’est accommodée que l’Assemblée Nationale, suite à la volonté exprimée par le président de la République, impose la trame du PADDUC qu’elle écrira dans les prochains mois. « Ce que nous faisons aujourd’hui en débattant de ce texte est, pour la Corse, d’une importance et d’une urgence considérables, et même quelque chose d’historique pour les institutions de notre île et pour son statut » a d’ailleurs déclaré le président du Conseil Exécutif de Corse, qui s’exprimait alors en tant que député. Lors du débat, les députés ont même été appelés à préciser la lecture qu’il convenait d’avoir de l’application des lois Littoral et Montagne dans le cadre du PADDUC. S’ils l’avaient fait, ils auraient ainsi tranché, à notre place, le débat opposant les élus « assouplisseurs » et les élus « intransigeants ». Heureusement, nous avons échappé à cela. Mais il aura fallu la volonté d’éviter une navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat, qui aurait retardé de plusieurs mois l’adoption définitive du projet de loi, pour que soit retiré l’amendement qui aurait un peu plus dépossédé les élus corses de leur pouvoir de choisir. Il appartiendra donc, et c’est heureux, aux conseillers de Corse de valider ou non cette interprétation de la loi sans doute souhaitable et pertinente énoncée par Paul Giacobbi : « Le texte ne donne absolument pas au PADDUC le droit de déroger aux lois Montagne et Littoral. »
Un débat institutionnel pour quoi faire ?
Ce constat conduit d’ailleurs à s’interroger sur ce que devraient être la finalité et le contenu du débat institutionnel que semble vouloir relancer une partie de la majorité territoriale. S’il s’agit, à la lumière de la démarche alsacienne, de rechercher dans le consensus les moyens de développer des politiques plus cohérentes en donnant davantage de cohésion et de force au corps institutionnel insulaire, nous aurons tous quelque chose à y gagner. En revanche, si les objectifs réels sont de tenter de redessiner une majorité en cédant un peu au nationalisme (sans être assuré de le satisfaire), d’assurer des sièges de députés en « captant des voix nationalistes » ou « de se prendre pour un autre » afin d’éluder les problèmes, la Corse n’aura rien à y gagner. Du temps et de l’énergie seront alors perdus au détriment d’urgences avérées (par exemple définir une politique viable des transports). De plus, des divisions et des fractures préjudiciables à tous surgiront et aggraveront une situation déjà rendue difficile par la superposition d’un retard de développement au plan local et d’une crise financière affectant l’économie mondiale.
Pierre Corsi