La commission violence de l’assemblée territoriale devrait incessamment rendre compte de ses travaux devant les élus territoriaux afin d’examiner des voies à suivre afin de jouer sur les causes profondes de ces comportements asociaux.
Une assemblée en prise avec une violence séculaire
Le travail des élus corses de la commission sur la violence est à saluer. C’est la première fois que la représentation démocratique de notre peuple donne le sentiment de ne pas subir un phénomène qui est avec la charcuterie, les fromages, les plages et les paghjelle semble appartenir à un triste folklore corse. La commission a auditionné des dizaines d’acteurs de notre société afin d’en tirer un vade-mecum pour les années à venir. Sans connaître le détail de ces témoignages, il me semble que deux d’entre eux sont essentiels. Le premier est celui de l’historien Antoine Marie Graziani qui a apporté sa connaissance du passé de notre île expliquant ainsi comment la Corse a passé les siècles sans jamais renoncé à cette violence. Ce n’est pas un phénomène récent qui daterait de la naissance de la clandestinité ou des règlements de compte entre voyous. Graziani a étudié les siècles génois mais aussi ceux marqués par la présence française. Loin d’un mériméisme tardif qui a voulu que cette violence fut régie par l’honneur et une variété locale de kanoun, il a démontré que la violence en Corse comme d’ailleurs sur tout le pourtour méditerranéen, était et reste une lutte sauvage pour la survie d’un individu ou d’un groupe, une sorte de guerre civile du pauvre. On tue par tous les moyens et sans restriction aucune parce que le perdant est assuré de tout perdre, la renommée et les biens. Le deuxième témoignage qui me semble essentiel est celui de la Ligue des droits de l’homme qui tente à travers un projet original de recréer ou de créer du lien là où il manque cruellement et d’associer à la violence indigène une violence institutionnalisée qui ne vaut guère mieux.
Une île fragmentée
Une société réagit comme un corps vivant. Son énergie doit circuler et alimenter les moins recoins du corps social faute de quoi il se crée des abcès, des infections ou parfois des cancers. La Corse cumule trois facteurs qui contribue à sa violence séculaire : son relief qui favorise le campanilisme et l’éclatement de son territoire en zones antagoniques ; son contexte méditerranéen (une mer fermée et une culture tribale qui favorise le clanisme) et une population de taille réduite. Ce dernier facteur créé un paradoxe : les Corses éprouvent besoin de se retrouver ensemble sans pour autant parvenir à s’aimer. Puis, pour ne pas créer de conflit on évite d’aborder ce qui pourrait faire problème. Les contradictions s’accumulent et finissent par exploser. Le tribalisme et le campanilisme provoquent une prise en compte très partielle de l’intérêt commun au profit du groupe ou de l’individu. Autant de traits d’ailleurs communs à toutes les populations disséminées sur l’ensemble méditerranéen et qui produisent les mêmes effets dévastateurs. Pour s’en convaincre il suffit de lire les études écrites par des sociologues et des anthropologues sur le mezzogiorno italien, le Péloponèse ou encore l’Albanie. Les clans participent de cette violence en jouant l’antagonisme permanent au sein de cette société qui ne trouve son équilibre que dans l’affrontement du pour et du contre. L’intérêt du projet de société proposée par la Ligue des droits de l’homme est de tenter de pacifier les antagonismes en proposant des projets communs et la reconstitution de dialogues.
Des violences multiformes
La violence est multiforme. Il y a d’abord la violence évidente et traumatisante : celle qui s’en prend aux biens et aux personnes. Mais comment établir une différence pertinente entre les attentats perpétrés par des voyous, par des clandestins ou par des concurrents jaloux ? Et si la violence de droit commun est la plus facile à identifier peut-on faire l’impasse sur celle de patrons qui paient au lance-pierres leurs employés ou qui embauchent au noir des ouvriers corvéables à merci ? La violence naît toujours d’un sentiment d’injustice réel ou supposé. Elle ne peut diminuer qu’à trois conditions. La première est que la société soit plus juste et que la justice rendue par les magistrats paraisse équitable à tous. Difficile aujourd’hui d’en arriver à un pareil constat quand les puissants de ce monde échappent peu ou prou aux sanctions alors que les plus démunis sont assommés par les licenciements, les amendes voire les condamnations pénales. La deuxième condition est que chaque citoyen décide d’être lui-même vigilant quant à la gangrène violente. Encore faut-il que la première condition soit remplie. La troisième condition est que les Corses se parlent pour affronter ensemble les épreuves à venir au lieu de sans cesse se disputer voire s’entre-tuer. Un vœu pieux ? Peut-être mais incontournable.
GXC