Chaque modification du code de l’urbanisme, aussi infime soit-elle, a des répercussions bien plus importantes qu’il n’y paraît, d’où l’extrême vigilance des défenseurs du patrimoine naturel et le forcing des professionnels du BTP et de l’immobilier pour les aider à relancer la construction. La crise du logement est un gros chantier qu’il est difficile de ne pas attaquer par l’angle foncier. La flambée des prix des terrains a été identifiée comme un des freins majeurs. Et le Padduc n’en finit plus de sortir de terre pour donner un gouvernail à l’île en matière de développement.
Face à la crise
L’an dernier, le code de l’urbanisme avait été modifié avec 72 mesures incitatives, notamment celle qui permet d’agrandir sa maison de 40 m2 sans permis de construire. Mais cela n’a pas suffi à relancer le secteur de l’immobilier. Selon les derniers chiffres publiés par le ministère du Logement, les ventes de logements neufs par les promoteurs ont chuté de 14,4% sur un an au premier trimestre 2012. Les mises en chantier ont pour leur part plongé de 22,5% de février à avril. Le nombre de permis de construire ne décolle pas. Seuls les prix au m2 flambent. Même le prix des terres agricoles s’emballe : +6% selon la FnSafer (Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural). La fédération explique ce regain d’intérêt pour les terres agricoles par un contexte international avec un besoin accru en produits agricoles, une pression sur le marché des terres libres qui se réduit, et enfin en période de crise, la terre et la forêt restent des valeurs refuges. La Corse-du-Sud est en tête du palmarès de la cherté des terres agricoles, avec 26.780 € l’hectare (contre 8.000 € l’hectare dans la Marne et l’Oise, par exemple, ou 19.660 € dans les Alpes-Maritimes et 18.970 € dans les Bouches-du-Rhône). Ce coût explique notamment pourquoi les agriculteurs ont de plus en plus de mal à être propriétaires de leurs terres.
Casse-tête de l’urbanisme
La campagne n’est pas seule à connaître la tourmente. La ville a ses propres casse-têtes. L’urbanisme est difficile à construire. Les plans se font et s’annulent, l’urbanisation galope et piétine. Le Padduc (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) est fortement décrié, jugé obsolète et passéiste par certains. Pour sortir de cette impasse, l’Assemblée de Corse a décidé de créer l’an dernier l’Agence d’aménagement, de planification et d’urbanisme de la Corse. Cette création est le fruit des huit mois de travaux consacrés aux Assises du foncier et du logement de la Corse. Ces assises avaient particulièrement révélé que la spéculation immobilière résultait en partie de la complexité d’un certain nombre de mécanismes à l’œuvre en Corse. D’où la décision de créer des outils publics d’intervention pour relayer les politiques décidées sur le terrain.
Plans multiples
Certaines communes se sont dotées d’un plan local d’urbanisme (41 communes corses sur 360 ont un PLU), histoire d’y voir plus clair dans ce capharnaüm foncier et de pouvoir répondre à la pression immobilière. Il faut dire que cela n’est pas simple. En effet, la Corse est tiraillée entre les règles traditionnelles d’urbanisme et des lois spécifiques comme la « loi littoral » et la « loi montagne ». D’où des situations conflictuelles entre les communes qui veulent construire et satisfaire les demandes et les associations de défense de l’environnement qui veulent préserver le patrimoine naturel. Cela explique pourquoi les tribunaux administratifs regorgent de recours. En attendant un plan territorial clair qui permette de déterminer les zones destinées au tourisme, aux habitations et à l’agriculture. Les grandes lignes du plan sont déjà connues : préservation de l’environnement, objectifs de développement économique, social, culturel et touristique. La rédaction de ce Padduc n’a pas été sans heurts, à tel point que d’aucuns se demandaient s’il « sortirait jamais de terre »… Il faut dire que ce document d’urbanisme n’est pas qu’une trajectoire pour le foncier et l’immobilier, les enjeux sont aussi sociétaux et économiques. D’autant qu’il a une valeur de DTA (directive territoriale d’aménagement). Autrement dit, rien d’étonnant à ce que ce chantier aux allures de « mission impossible » mis en ouvrage en 2003 ait pris autant de temps et de retard. Un rapport engageant la Corse pour 20 ans, ça se murit et ça se soigne, spécificités insulaires obligent. Reste à ce que les curseurs soient placés aux bons endroits.
Maria Mariana