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Une île partisane

jeudi 13 décembre 2012, par Journal de la Corse

En Corse, prendre la défense d’un principe c’est bien souvent prendre le risque d’être fourré dans un camp contre un autre. Les droits de l’homme sont dans beaucoup de cas utilisés par les uns comme une arme contre les autres et jetés aux orties dès lors qu’ils ne peuvent plus servir.

Tenter d’être objectif

À soixante ans passés je continue d’être étonné par la capacité partisane et impitoyable de bon nombre de Corses confrontés aux assassinats. C’est d’abord une forme d’indifférence au malheur vrai, une incroyable froideur devant la mort et plus encore devant celle de celui dont on suppose qu’il aurait pu se trouver dans le camp adverse. Je n’ai jamais entendu de paroles immédiates de compassion pour la victime d’un assassinat. De suite, c’est le doute, la méfiance et donc l’accusation. S’il a été tué c’est qu’il a trempé dans une sombre affaire, qu’il a fréquenté qui il ne fallait pas comme si ces raisons pouvaient un instant justifier la mort violente d’une personne. Éprouver une compassion profonde, réelle pour la famille Manunta n’exclut nullement de ressentir le même sentiment pour toutes celles et tous ceux qui sont touchés par un drame équivalent. Alors je sais que l’un des petits jeux de certains de nos concitoyens consiste à classer, à ranger les uns et les autres dans des cases dont il est difficile de sortir. Hé bien je refuse de marcher dans ce jeu. Le jour où j’estimerai qu’en Corse il est impossible de s’exprimer librement, d’être l’ami d’un tel ou d’un tel sans nécessairement épouser ses opinions, ce jour-là je quitterai définitivement cette terre parce que j’estimerai en conscience qu’il existe une sorte de fascisme banalisé. Je veux pouvoir dire ce qui me semble être juste quitte à reconnaître m’être trompé. Je refuse d’être l’esclave de mes amitiés ou de ma parenté. Je veux être un citoyen sur ma terre et non l’élément lambda d’un troupeau ou d’une bande.

Question de langue

De la même façon, il est désormais de bon ton d’être pour la coofficialité de la langue corse. Le concept, à écouter ses laudateurs, serait le terme magique qui redonnerait vie et vigueur à notre malheureuse langue. Il me semble quant à moi que ce devrait être éventuellement l’aboutissement d’un processus de réacquisition et non son commencement. Notre langue est l’otage de positions partisanes qui masquent notre incapacité à aborder tranquillement les causes de son déclin. Hier, vouloir enseigner le corse c’était nécessairement être nationaliste. À l’inverse, affirmer la nécessité d’une certaine uniformité de la langue écrite c’est prendre le risque d’être taxé de jacobin local et rejeté dans les orties de l’histoire. Ici on juge, on tranche souvent en fonction de ses petits intérêts… et on finit par ne rien faire ou pas grand-chose. Et je fiche mon billet que la co-officialité comme le GALSI va devenir serpent de mer puis disparaître. Il se trouve que le corse n’est pas la première langue minoritaire à devoir être sauvée et les expériences existent qui montrent la voie à suivre. Le déclin du corse pas une simple question de centralisme ou de colonisation de peuplement. C’est aussi le résultat inévitable de l’ouverture sur le monde. Les parlers italiques ne se portent guère mieux que le corse alors que l’état italien est déficient. Or les recettes du sauvetage sont connues car elles ont été expérimentées dans bon nombre de pays. Il faut que la langue ait une utilité autre qu’affective. L’affect cède toujours le pas à la nécessité ou à la fonctionnalité. En Catalogne ou au Pays Basque, la langue a été martelée dans les médias. Elle est devenue un vecteur de réussite économique dans des pays dynamiques et fortement peuplés. La deuxième règle est qu’il faut une certaine uniformisation écrite quitte à ce que chacun parle la langue à sa façon. C’est ce qui a été fait au pays basque et en Catalogne. Il faut aussi rendre obligatoire l’apprentissage de la langue dans les écoles et se doter de méthodes qui ont fait leurs preuves dans l’apprentissage des langues étrangères à savoir la répétition et l’immersion linguistique durant des périodes de plusieurs jours. La co-officialité n’est que la cerise sur le gâteau mais ne saurait en aucun cas être le début du commencement. Elle est d’ailleurs très largement contestée là où elle est mise en œuvre tout simplement parce qu’elle coûte très cher et ne sert à rien sinon de symbole. On peut toujours taper du pied et tenter de se convaincre du contraire. Ça ne marchera pas et, de guerre lasse, elle sera abandonnée. La sauvegarde d’une langue est d’abord une question d’organisation et de volonté. Pour l’heure les chiffres parlent d’eux-mêmes : 90% des enfants sont inscrits en langue corse au collège, quelques pour cent à peine arrivent au bac et bien peu parmi eux ont appris le corse en cours de route. Les faits sont têtus même s’ils sont dérangeants. Et mieux vaut affronter la réalité en face que de la nier en lui tordant le nez.

GXC

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