Yves Manunta s’est longuement exprimé sur ce qu’il estime être les causes de la tentative d’assassinat dont lui et sa famille ont été les victimes. Lui et sa fille de dix ans ont donné aux enquêteurs les noms de ceux qu’ils affirment avoir reconnus. Ces deux frères, déjà arrêtés pour une précédente fusillade, ont été incarcérés. Pourtant, par avocats interposés, les accusations infamantes ont fusé, donnant un bien triste sentiment quant à la dégradation de la société corse.
Un geste impardonnable
Je veux ici l’écrire et le réécrire : la tentative d’assassinat dont a été victime la famille Manunta est sans excuses et ses auteurs, quels qu’ils soient doivent être sévèrement condamnés. Yves Manunta et son avocat Me Mariaggi ont parallèlement multiplié les déclarations mettant en cause « un système » qualifié de mafieux « pire qu’en Sicile ». Pour ma part, je crois plutôt à la réalité des petits appétits minables, au triomphe de la médiocrité notabilisée d’un côté comme de l’autre, à celle des misérables orgueils dopée par un campanilisme séculaire. Yves Manunta et son conseil ont au passage attaqué « les défenseurs des droits de l’homme » et ceux qui ont mené campagne contre la JIRS les accusant d’être une sorte de cinquième colonne vouée au mal contre le bien. Or j’ai été et je reste l’un de ces hommes qui stigmatisent la justice d’exception et appellent de leur vœu une justice inflexible mais banalisée. Et j’affirme avoir agi de manière désintéressée et au nom de principes essentiels à la démocratie. Contrairement à ce qui se passe trop souvent en Corse, je sais faire la part entre mes amitiés et mes choix éthiques. J’éprouve une aversion égale pour tous les assassins sans distinction de camps. Je ressens d’ailleurs un profond dégoût face à ceux qui distillent cette haine et cette lâcheté qui légitiment chez les assassins toute trace d’humanité. Or c’est un jeu local que de stigmatiser ceux qui tuent les vôtres et de se taire lorsque la mort frappe vos ennemis. Pour ma part, je ne trie pas les victimes. Et parce que je n’ai jamais été mêlé à ces affaires qui pourrissent notre société, parce que je ne suis pas un avocat dont le jugement est par essence à géométrie variable, j’affirme que cette Corse vindicative et haineuse ne m’intéresse pas. Dans ce combat meurtrier personne n’est en mesure de donner des leçons de probité à l’autre camp même si l’assassinat de Marie-Jeanne Bozzi et la tentative d’assassinat contre la famille Manunta constituent un palier supplémentaire dans la sauvagerie.
Au nom des principes
Est-ce à dire que dans cette Corse convulsive, partisane et suicidaire, il n’existerait pas de place pour celles et ceux qui se battent au nom de principes et non d’intérêts partisans ? La LDH et le comité Vérité Justice se sont réunis pour un combat qui ne supporte aucune exception : la dénonciation de la dérive liberticide qui infecte le monde depuis le 11 septembre 2001. Les lois anti-immigrés, comme les lois antiterroristes ou les lois Perben sont l’expression de cette tendance répressive qui réduit les droits de la défense. Autant dire que la situation ajaccienne compte peu dans un si vaste contexte n’en déplaise à nos égotiques locaux. Je veux croire que dans un monde de plus en plus injuste on peut encore se battre contre l’iniquité sans être aussitôt accusé de prêter main-forte à l’une ou l’autre des parties en présence.
Libre de toute servitude
Beaucoup en Corse ne croient pas au talent et à l’intelligence mais au piston et à la ruse. Il se trouve que je crois en la justice et en la force du bien public contre les intérêts des tribus. Je pense que l’assassinat doit être sévèrement puni et que seule la justice peut permettre d’accéder à la paix à la condition que cette justice respecte ses propres règles. À Ajaccio, des avocats s’insultent par voie de presse et se comportent en partisans plutôt qu’en modérateurs. C’est le signe d’un délitement des valeurs démocratiques. Tant que la Corse ne parviendra pas à dépasser ces logiques de cliques et de clans, elle reproduira décennies après décennies les mêmes logiques destructrices. Pour ce qui me concerne, il est hors de question d’abandonner mes principes. Je ne veux pas plus réclamer plus de répression parce que c’est aux Corses de prendre conscience de la gravité de la situation. Je veux continuer à croire que la Corse peut accéder à la paix et qu’il est possible d’y vivre sans craindre pour sa vie et celle de sa famille et sans redouter une justice toujours plus exceptionnelle, mutilée par une politique de résultats sans principes.
GXC