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UNE EXPOSITION APRÈS LA TEMPETE

jeudi 15 novembre 2012, par Journal de la Corse

Parfois, il semble que la nature offre quelques cadeaux à l’homme, en consolation des dégâts que sa force a pu faire. Après les tempêtes, Arlette Schleifer sort a l’aube de chez elle et découvre de vrais bijoux : des bois, des troncs, des branches échoués sur la plage, s’offrant littéralement à elle. Ils l’appellent comme pour retrouver leur temps gloire quand, il y a des dizaines, voir des centaines d’années ils surplombaient fièrement les rivières et torrents de Corse. Mais loin de la Gravona du Prunelli ou de l’Asco ses rois déchus retrouveront leur prestance sur les socles des galeries parisiennes.

Entre nature et culture

Après une oeuvre considérable de peinture dominée par le travail de la couleur, Arlette Schleifer s’est donné pour mission d’offrir une deuxième vie aux bois échoués, juste devant chez elle, sur la plage. Son travail relève de l’art brut, elle part régulièrement à la chasse au trésor : « J’ai hâte de me lever et d’imaginer ce que je vais découvrir, je suis toujours surprise par mes trouvailles et par leurs beautés saisissantes. ». Elle porte un regard empreint de poésie et presque d’affection sur ces épaves naturelles, et laisse émerger des formes et des figures, les pieds s’enfonçant dans le sable, le regard posé sur ces beautés décharnées, elle devine la ligne directrice de la forme : « Je sais immédiatement ce que je vais faire ». Car ce qui importe Arlette est moins la beauté potentielle du matériau que la transformation des choses. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de travail esthétique, bien au contraire, mais il est essentiel de ne pas transformer totalement ces matières en objets figés et ignifugés. La sculptrice travaille le bois, le peint, le soigne mais entend préserver son essence. Arrachés par la Nature elle même à leur environnement, échoués sur la plage, puis transportés dans des galeries parisiennes sous des formes de canard, de chien, de dodo ou de créatures polymorphe, les bois flottés gardent leur force naturelle intacte.

Invitation au voyage

S’il y a bien une inspiration dans le travail d’Arlette Schleifer, ce sont les voyages. Principalement les Etats-Unis, l’Asie et la Corse qui fut la destination son voyage de noce et sa terre d’adoption depuis maintenant plus de trente ans. Elle puise quelque chose de chacun de ces pays : produits de qualité aux Etats-Unis, lieu de quiétude et de travail acharné en Corse, ou subtilités des couleurs en Asie. Même dans les matériaux qu’elle façonne tout est une question de voyage, ou plutôt de parcours : « Venus de la montagne, suivant la rivière ils se sont échoués sur la plage (...) ils sont vieux parfois centenaires et racontent une histoire enfouie dans les noeuds de leur chair (…) de bois anciens et de voyage qui nous réchauffe le coeur ». Sur un petit papier expliquant son exposition, Arlette Schleifer invite le spectateur à prendre l’ampleur du chemin parcouru. Baudelaire pensait que l’art moderne est « une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui-même », le travail de la sculptrice s’inscrit directement dans cette lignée : l’art comme moyen de traduire un parcours celui des objets et celui du peintre. La peintre, lucide sur son oeuvre, qualifie son style de frontière entre le figuratif et l’abstrait. Après avoir « recopié » les « Maitres », travail de filiation indispensable pour un peintre, et être passée par différentes périodes artistiques, elle trouve un sens nouveau à ses oeuvres en voyant un électrocardiogramme, et se dit qu’au final « c’est ça la vie » : une alternance de « pulsions » et de moments plus calmes qu’elle appelle « des rondeurs ». Ses tableaux en sont la parfaite illustration, oscillation entre pics et calme plat, entre chaleur de la Corse et pudeur de l’Asie, entre abstrait et figuratif. Le travail sur bois flottés entamé depuis presque un an, vient accompagner ses peintures de façon imposante mais raffinée, comme des objets précieux venus des temps anciens, maintenant délicatement posés dans des galeries chics, où, comme dans leur environnement naturel, tout n’est qu’« ordre et beauté luxe calme et volupté ».

Marie-Ange Filippi

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