Christophe Labbé, Olivia Recasens et Didier Hassoux consacrent un livre à Bernard Squarcini, patron de la DCRI. Un livre accrocheur qui donne un point de vue tout en raccourci et jamais en finesse, un livre enfin qui tombe le folklorisme corso-figatelliste.
Un homme au service d’un pouvoir
Les journalistes qui travaillent sur les affaires de police et de justice ont cela de commun avec les hommes sur lesquels ils enquêtent, c’est qu’ils ne savent jamais s’ils manipulent ou s’ils sont manipulés. Beaucoup de ceux qui traitent les "affaires" possèdent les mêmes sources d’information la plupart du temps policières ou judiciaires. Ils se contentent de les citer ou de les faire citer sans réellement recouper le matériel recueilli. L’ouvrage sur Bernard Squarcini est édité avant les élections présidentielles. Est-ce vraiment un hasard ? D’autant qu’il n’apprend rien de nouveau au lecteur averti. Il est une sorte de condensé d’informations préalablement sorties par Xavier Monier sur le site Bakchich ou Ariane Chemin dans le Monde par exemple. Tous ont pour particularité de faire une sorte de fixette obsessionnelle sur la Corse laissant croire que sur ce malheureux rocher nerveux se constitueraient des complots qui menaceraient la république française. Et ces journalistes d’affirmer avec force à leur mission moralisatrice contre la petite matrice de mauvais sujets. C’est parfois juste (un peu). Mais à force cette manière de toujours taper sur le même clou finit par devenir irritant. D’autant que ces rois et ces reines de la plume en finissent par oublier d’autres affaires autrement plus significatrices du pourrissement du pouvoir comme l’affaire Neyret, ce commissaire soupçonné de ripouterie qui visiblement n’intéresse que marginalement le petit monde de la presse spécialisée dans le petit monde du maquis corse. Mais dès qu’il faut en tirer des kilomètres sur l’incontournable Paul Canarell aux connaissances trop vastes ou encore le scandaleux député Pupponi et ses amitiés douteuses on trouve une meute tradotante Un peu ça va, trop finit par dégoûter et produire l’effet contraire de celui voulu. Ce livre appartient à ce registre du bredouillement journalistique quelques sources soucieuses de régler ses complots policiers ou judiciaires par presse interposée quitte à dévoiler des conversations privées, des écoutes intimes et donc à joyeusement fouler aux pieds la présomption d’innocence. Mais qu’importe le vin pourvu qu’on ai l’ivresse !
Figatellu, lonzu et coppa à tous les services
Le thème principal est l’histoire d’un flic dont le travail consiste à faire du renseignement et à manipuler l’opinion. Quoi d’étonnant à ce que Bernard Squarcini fasse exactement ce pour quoi il est payé. Les auteurs nous apprennent qu’il est ambitieux. La belle affaire ! Et qu’il sert la soupe au pouvoir. Quel scoop ! Nos journalistes ont la mémoire courte mais le gaullisme usa des mêmes méthodes tout comme le giscardisme puis le mitterrandisme. Ce n’est évidemment pas une raison pour passer sous silence les coups fourrés de celui qui fut le numéro deux des Renseignements généraux. Mais enfin il est de la lignée des Marcellin, des Poniatowski ou des Pasqua. Rien de plus rien de moins. Il est vrai que les auteurs se répandent sur le rôle supposé de la corsité attribuée à Bernard Squarcini. Il fut un temps où les grands flics furent bretons. Il y eut des bordelais. Mais le Corse est plus pittoresque. Il est décrit ici comme une sorte de chien de chasse doué d’un sens inné de l’enquête, une sorte de génotype du flic insulaire typique situé entre Fouché et Vidocq. Les détails ont en général été déjà déflorés dans des articles plus anciens écrits par d’autres confrères. Il est vrai qu’à tout devoir à une ou deux sources on ne peut que se répéter. Parfois on tombe dans le grotesque ethniciste. Ainsi Bernard Squarcini qui n’a tout de même de la Corse qu’une connaissance policière connaîtrait tout de chaque famille insulaire. On croit rêver. Quand nous les Corses qui habitons dans l’île, sommes la plupart du temps perdus dans le maquis local des disputes picrocholines, des fiertés campanilistes et des assassinats entre amis, voilà que ce type dont on espère qu’il a d’autres chats à fouetter que son île d’origine, n’ignore rien du moindre de nos péchés véniels. Chapeau bas et respect ! Et pour parfaire le tableau le bonhomme est souvent dépeint par ses petites habitudes gourmandes avec ses cantines coûteuses recevant comme un parrain sicilien ses sbires et autres affidés. Au menu, du lonzu, de la coppa et du figatellu. Et pourquoi pas du Tino Rossi pour accompagner ces agapes « tellement typiques ».
Une vieille histoire
Que les journalistes qui se piquent d’être des spécialistes de notre île aient envie de vendre leur salade est humain. Ils sont tellement nombreux à se disputer un si maigre territoire. L’ouvrage enfonce à chaque page des portes ouvertes déjà défoncées par d’autres auteurs comme Pierre Péan pour ce qui concerne les amitiés de Squarcini avec des affairistes. Et au bout de la lecture on finit par se dire que ce cursinu-là est encore l’un des moins pires qui soit. C’est au sens marxiste du terme un chien de garde d’un système qui a servi des maîtres de gauche comme de droite. Il a usé de relations qui appartiennent à son monde glauque. Et s’il est exact que des Corses s’y sont prêtés, c’est que dans chaque peuple il est des individus que l’attrait du pouvoir attire. La présence de Corses dans le monde des jeux n’est pas nouvelle. Mais que je sache de nombreux commissaires y sont entrés après leur retraite sans que tous soient corses. Certes le député Pupponi aurait dû faire preuve de plus de prudence morale dans le choix de ses amis. Mais nos plumitifs devraient savoir du haut de leur chaire de corsologie qu’ici on connaît souvent des individus et on peut les apprécier sans pour autant être responsable de leurs agissements. Seul le système qui fabrique des Squarcini est intéressant à analyser pour mieux le combattre car c’est un système totalement injuste qui ne connaît qu’un maître mot le profit. Et on pourrait reprocher à tous ces journalistes de travailler eux aussi dans le détail, le bling bling, le sensationnel oubliant l’essentiel. Avec de tels enquêteurs, les Squarcini et consorts peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Ils n’ont pas grand chose à craindre et peuvent encore espérer manipuler la presse pour de longues années. Ils appartiennent à ce système hypocrite couvert par la lâcheté ou la complicité de bon nombre de magistrats ou de policiers, de politiciens de tous bords, d’un certain nombre de journalistes bref d’une caste qui défend ses intérêts. Un livre donc à lire si on a 19 euros et un peu de temps à perdre.
GXC
L’espion du président. Au cœur de la police politique de Sarkozy, de Christophe Labbé, Olivia Recasens et Didier Hassoux (Robert Laffont, 284 pages, 19 euros).