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Un pays entre parenthèses

jeudi 23 juin 2011, par Journal de la Corse

Belgique

La crise belge révèle la dimension de l’Etat dans l’Europe d’aujourd’hui.

Il est courant de se gausser des natifs d’outre Quiévrain. Pourtant les Belges, Wallons et Flamands réunis, sont en train de réaliser une performance qui devrait inciter les Européens à renoncer aux stupides histoires ridiculisant les « mangeurs de frites ».

Depuis un an, ils sont privés de gouvernement fédéral et, pourtant, cela va plutôt bien chez eux. Tout a commencé après des élections législatives qui ont eu lieu le 13 juin 2010. L’absence de majorité sortie des urnes puis l’incapacité de s’entendre des partis politiques ont fait que le pays, depuis cette date, est administré par un gouvernement démissionnaire. En effet, alors que la principale formation politique du pays (Alliance Néo-Flamande) exige, avec le soutien d’autres partis flamands, un transfert de pouvoirs supplémentaires vers les régions, les partis wallons opposent un refus catégorique. Ils accusent l’Alliance Néo-Flamande qui se déclare indépendantiste, de vouloir liquider l’Etat belge et non le réformer. Aussi, depuis un an, le gouvernement fédéral sortant est toujours en place et se borne à gérer les affaires courantes. On pourrait penser que cette situation provoque des dysfonctionnements graves. Or, à ce jour, il n’en est rien. En réalité, la Belgique se porte même plutôt mieux. Le déficit budgétaire est passé de 5,9% à 4,1% du PIB. Le taux de chômage a lui aussi diminué. Il était de 7,7% en avril dernier, alors qu’il atteignait 8,4% en mai 2010. Par ailleurs, le pays a très honorablement présidé l’Union européenne de juillet à décembre 2010. On peut aussi ajouter que l’armée belge est présente et active en Afghanistan, au Liban et dans le ciel libyen. Enfin, même si leurs désaccords sont à l’origine de la crise politique en cours, Flamands et Wallons circonscrivent leur mésentente dans les limites du débat politique et institutionnel. Il semble même que le sentiment national belge retrouve quelque vigueur. La recette de cette peu banale réussite est cependant connue. En bonne partie, elle résulte d’un contexte institutionnel et politique qui se révèle à la fois souple et solide, et qui n’a rien à voir avec la rigidité française concernant la vie publique et la représentation de l’Etat. En Belgique, coexistent un Etat fédéral et une monarchie constitutionnelle : l’Etat belge est organisé en trois régions (Flandres, Wallonie, Bruxelles) et le roi Albert II symbolise l’unité nationale. Ce contexte s’avère très performant car le bon fonctionnement des trois régions permet à la Belgique de bénéficier de gouvernances dynamiques malgré la crise fédérale, alors que le roi s’impose comme un élément fédérateur.

Des arguments pour les autonomistes

L’amélioration de la situation économique et sociale et la continuité de l’Etat incitent cependant Flamands et Wallons à ne rien lâcher. D’autant que la cote de popularité de l’Alliance Néo-Flamande ne cesse de progresser. Ayant obtenu un peu plus de 28 % des suffrages en Flandres en 2010, ce parti y est aujourd’hui crédité par les sondages de 33,5 % des intentions de vote. D’où l’intransigeance affichée par son leader. Plus que jamais celui-ci déclare vouloir aboutir à ce que l’Etat belge passe d’une organisation fédérale à une organisation confédérale. De leur côté, les Wallons persistent à repousser une évolution qui, selon eux, réduirait comme une peau de chagrin les prérogatives de l’Etat fédéral et supprimerait toute solidarité entre les régions et les populations. Si cette situation persiste, la porte de sortie ne pourra consister qu’en la tenue de nouvelles élections. Mais beaucoup d’observateurs et d’acteurs politiques rechignent à retenir cette option car une reconduction des actuels rapports de force ou une nouvelle progression des partis flamands rendraient la crise encore plus aigüe. Une solution de compromis pourrait toutefois intervenir. Elle résulterait de trois facteurs. Selon tous les sondages, environ deux Belges sur trois refusent une partition de leur pays. Le roi des Belges reste une référence respectée et un ciment de l’unité nationale. Des agences de notation menacent la Belgique d’une dégradation de sa notation sur le marché international si elle ne parvient pas à se doter d’un gouvernement. Cependant, même si un compromis intervient dans les prochaines semaines, il n’en restera pas moins vrai que la crise belge aura révélé la dimension de moins en moins incontournable et politique de l’Etat dans l’Europe actuelle. L’échelon fédéral aura été dirigé de façon satisfaisante par un gouvernement démissionnaire ne pouvant se prévaloir d’aucune feuille de route, et s’appuyant uniquement sur la machine administrative. L’échelon régional, qui dispose déjà de nombreuses et importantes compétences, aura maintenu la vitalité du pays, plus particulièrement en alimentant la commande publique au plan des grands investissements et en gérant une grande partie du service public et de la solidarité sociale. Le cadre européen et l’influence du marché mondialisé auront fait que la Belgique sera restée dans les clous de ses obligations internationales et des contraintes économiques et financières. Enfin, la souplesse de la construction nationale belge s’avère en définitive le meilleur garant de la pérennité du pays. De quoi donner des arguments à ceux qui, chez nous, réclament davantage d’autonomie politique pour les régions et assurent que cela ne mettrait pas en péril l’unité nationale.

Pierre Corsi

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