Pour les Chrétiens, Pâques est la période de la résurrection, de la vie et de l’espérance. En Corse, elle a été marquée par trois assassinats et un peu plus tard un plasticage. On ne saurait mieux souligner l’état de déshérence de notre société.
La mort de deux militants
Je ne connais pas les arcanes du nationalisme pas plus que celles de la région du Fium’Orbu. Mais tous ceux qui ont connu Jo Sisti s’accordent à reconnaître la probité et la droiture de ce vieux militant de la cause nationale. Lui et son beau-frère ont été abattus à signarina, ce qui peut se traduire en français "comme des chiens" ou plutôt comme des voyous. La réaction de Pierre Poggioli, ancien grand responsable du FLNC et celle d’Inseme per a Corsica, ne laissent planer aucun doute quant à la réaction d’une partie du mouvement nationaliste, celle qu’on a tendance à désigner comme la plus radicale (mais rien n’est aussi simple puisque Jo Sisti était militant de Femu a Corsica de tendance modérée tandis que son fils avait de la sympathie pour ce qui avait été le Rinnovu).
La criminalisation du mouvement nationaliste ?
Le mouvement nationaliste va vraisemblablement faire bloc contre l’ennemi désigné, le grand banditisme. Pierre Poggioli a retrouvé les accents qu’il possédait en 1983 quand, après la tragique disparition de Guy Orsoni, il dénonçait et avec lui l’ensemble du mouvement nationaliste "la criminalisation du mouvement". Le problème est que depuis l’histoire a fait son chemin. Il y a eu la guerre fratricide durant laquelle les deux tendances du mouvement se sont mutuellement accusées de dérives mafieuses. Il y a eu tous ces morts en marge des organisations dont la rumeur susurrait qu’elles étaient liées à des "affaires". Bref l’opinion publique, pour choquée qu’elle est par ce double assassinat atroce, risque de n’être observatrice d’un nouveau conflit qui se prépare. Le mouvement nationaliste dans son ensemble est-il d’ailleurs prêt à assumer un combat multiforme, aux contours mal définis dans une Corse où l’archipélisation a souvent réduit les conflits d’intérêts territoriaux à des guerres picrocholines réduites à des territoires exigus. Car ce qui se passe au nord n’a pas la même teneur que ce qui se passe au sud et ce qui est vrai dans le Fium’Orbu ne l’est pas dans le Vicolais.
Un éclatement général
L’éclatement de la Corse risque aussi de jouer au sein de la clandestinité où visiblement des lignes de faille sont récemment apparues. Cette Pâque sanglante aura fait apparaître une Corse plus éperdue que jamais, dévorée par le démon de la violence. C’est là que réside notre problème majeur : dans notre manque de véritable compassion, dans notre incapacité à poser nos problèmes sur la table pour les régler de manière pacifique. Nous cachons nos contradictions sous cette table et nous attendons qu’elles explosent. Alors nous faisons mine de les découvrir. La violence, le grand banditisme ne sont que les expressions de notre manque de courage qui nous pousse à toujours désigner un adversaire extérieur à nous-mêmes. Nos élus par exemple n’ont pas voulu prendre à bras-le-corps la question quand elle est arrivée sur le tapis par le biais de la revendication d’un assassinat par le FLNC sachant pourtant que ceci risquait d’entraîner une interminable vindetta. Il ne s’agit pas de porter des jugements à la va-vite mais de décider d’une manière de construire le futur avec pour poutre maîtresse un principe : nul n’a le droit de s’arroger le droit de vie et de mort sur autrui. Il faudra bien qu’un jour par volonté ou par lassitude, nous parvenions à emprunter les chemins du compromis et en définitive du pardon. Faute de quoi, nous et nos enfants continueront à nous entre-tuer, faisant mine de découvrir, des complots imaginaires sous ce désordre généralisé et sanglant. Nous seuls pouvons agir sur ce délitement. Nous seuls pouvons décider du destin que nous préparons à nos enfants. Pour l’heure, les événements ne prêtent guère à l’optimisme. De nouveaux assassinats se préparent dans l’ombre et sans une réaction de la société civile pour dire "assez", ceux-là en annonceront de nouveau. Et la Corse perpétuera une violence qui finira par engloutir notre âme.
GXC