Il a été écrit, dans cette rubrique, tant d’articles qui tous dénonçaient la spirale mortifère dans laquelle la Corse s’enfonce, qu’un de plus paraît superflu. Et pourtant… L’assassinat d’Antoine Sollacaro et plus récemment celui de Jacques Nacer, président de la CCI de la Corse-du-Sud semblent indiquer une accélération d’un processus d’autodestruction que nous secrétons depuis des siècles.
La mafia imaginaire au service d’un pouvoir sans imagination
Peu après l’assassinat de Jacques Nacer, François Hollande en visite en Allemagne a dénoncé "la mafia corse". Il semblerait qu’il ait également fait savoir à son premier ministre que le silence du ministre de l’Intérieur et celui de la garde des Sceaux étaient devenus assourdissants. Il est vrai qu’aucun de ces deux personnages n’avait jugé bon se déplacer après l’assassinat d’Antoine Sollacaro. Mieux, alors que pour l’enterrement de Robert Feliciaggi, le préfet en personne s’était déplacé, je ne sais quel fonctionnaire a été dépêché à Propriano pour celui de l’avocat. L’évêque lui-même, s’était tû et continue de se taire. En même temps, Valls descendait en personne à Marseille après le meurtre d’un ancien voyou tandis que le Président de la République en personne se rendait dans le Sud de la France pour rendre hommage à deux pompiers tués dans l’exercice de leur métier. C’est dire en quelle estime les hautes autorités nous tiennent. Et il aurait fallu un coup de gueule monumentale du président pour que les deux ministres décident d’avancer en toute hâte leur voyage en Corse prévu pour le 29 novembre. Pour à nouveau, à Ajaccio, dénoncer la mafia corse, organisation fantasmatique qui risque fort de n’être jamais découverte par les renforts de police et de magistrats.
La haine au poste de commande
Il est stupéfiant de constater à quel point en France, journalistes et politiques possèdent un talent de perroquet. Voilà un spécialiste autoproclamé de la violence corse qui, avec des airs entendus, vous affirme que tout cela est l’oeuvre de la mafia indigène comme cela avait déjà été annoncé après l’assassinat du préfet Erignac. Et chacun de répéter à l’envi le mot magique de "mafia". Or la vérité, plus difficile à entendre car infiniment plus complexe, est celle d’une société confinée et pauvre où le moindre enjeu déclenche des haines, des jalousies qui annihilent les frontières qui bornent une démocratie à commencer par le respect de la vie humaine. Nos élus ont beau jeu aujourd’hui d’exiger des moyens matériels et humains pour combattre le grand banditisme eux qui ont refusé de condamner la revendication d’un assassinat par une organisation clandestine, eux qui se taisent quand les cadavres s’accumulent ou quand des sociétés se font détruire de façon criminelle une partie de leurs biens. Et que dire de ces policiers qui, au nom d’une prétendue efficacité, s’acoquinent avec des personnages douteux. Nous nageons en pleine confusion. À dix minutes de l’endroit où a été abattu Jacques Nacer, un adolescent, Andy est jugé pour avoir abattu ses frères et ses parents. Andy ne sait pas pourquoi il a agi ainsi. Les journalistes, par facilité, ont incriminé les jeux vidéos, Internet comme si tous les jeunes qui s’adonnaient à ces amusements étaient des tueurs potentiels. Andy est tout simplement irresponsable de ses actes. Je me souviens de la levée de corps de ceux qu’il avait tués et que nous connaissions. Il n’y avait personne des siens (peut-être sont-ils venus plus tard). Nous nous trouvions devant ces deux grands cercueils et ces deux petits. C’était inexplicable, atroce et bouleversant. Je pense souvent à ce garçon qui ne sait toujours pas ce qui lui est arrivé et qui mérite notre compassion. Peut-être devrions-nous nous les Corses, réfléchir à ce qui nous arrive et que nous sommes incapables d’expliquer. Je lis ça et là des noms lancés en pâture aux fauves. C’est indigne. On accroche ainsi des cibles dans le dos de personnes dont on sait que cela peut aboutir à une exécution. Que l’homme de la rue répète à l’envi de misérables rumeurs est une chose. Mais que des journalistes d’organes nationaux se repaissent de pareilles saloperies n’a pas de nom. Quant à nos deux ministres, ils ont eu l’air de dire que si la Corse était fatiguée de la violence, la France commençait à l’être de la Corse. Drôles de paroles pour des personnages d’État ! Mais prenons-les au mot. Les malheurs de la Corse seront guéris par les Corses eux-mêmes. Seuls des Corses peuvent comprendre ce qui se passe réellement et jouer sur les racines du problème. Encore faut-il que nous éprouvions pour nous-mêmes un zeste de considération.
GXC