Tourisme
Pumataghji, je vous aime !
Eux, au moins, ils achètent sur place et il advient qu’ils se fassent un resto ou, s’il pleut ou sont trop fatigués, qu’ils dorment une nuit à l’hôtel.
Dernièrement, j’étais quelque part sur notre Ile de Beauté. Une amie exploitant un hôtel m’avait invitée à déjeuner dans un établissement jouxtant le sien. Bien qu’Anna me fît bonne figure et que je la ressentisse ravie de me voir, je devinai très vite qu’elle était « noire ». Si bien que je finis par oser lui demander si quelque chose de grave la chagrinait. Après un temps d’hésitation, elle me confia qu’elle en avait marre de gérer son hôtel en faisant de la corde raide et d’entendre les hommes politiques affirmer tout et n’importe quoi sur l’activité touristique. « Pourtant, il y a du monde » lui répondis-je trop vite. « Du monde, quel monde ? Je vais te montrer ce qu’est ce monde ! » me lança-t-elle. Anna étant visiblement en « crise noire », je ne fis aucune difficulté pour la suivre. Passant devant la réception, elle me souffla : « Moins 25% en juin, moins 10 % en juillet, je vais où avec çà ? » et ajouta : « J’espère qu’en déjeunant, tu as remarqué que la terrasse du resto était quasiment déserte ». Il m’eût été difficile de soutenir le contraire. Nous fîmes quelques centaines de pas et arrivâmes sur une aire censée être réservée au stationnement des autos.
Une présence résidentielle
Les autos étaient bien là. Mais un bon tiers
des emplacements étaient occupés par des
camping-cars. S’ils avaient été en situation de
simple stationnement, il n’y aurait pas eu
matière à redire. Mais la réalité était bien
autre. Portes et trappes ouvertes, auvents et
parasols déployés, tables de camping dépliées
où trônaient bouteilles entamées, canettes
vides et reliefs de repas, petites culottes,
slips et tee-shirts et séchant indécemment
sur des fils tendus entre deux véhicules,
piscines gonflables où s’ébattaient des marmots
aussi blanchâtres que bruyants, chairs rougies
et dégoulinantes exposées sur des chaises
longues, tout indiquait que l’on était passé
du stade « arrêt prolongé » au stade « présence
résidentielle ». Et ce tableau avait pour arrièreplan
des corbeilles à papier vomissant des
monceaux de déchets ménagers. « En France,
ils se plaignent des Roms. Nous, nous avons
les « lumache » commenta mon amie. Ajoutant :
« Sauf que le Rom, le pauvre, il ne peut pas
faire autrement. Il n’a pas de chez lui reconnu
et décent. Alors que ceux-là, ils ont un
pavillon, une villa, un appart ou au moins un
HLM ! ».
Le touriste nouveau
Je ne savais que dire partagée que j’étais
entre le sentiment que mon amie tenait des
propos excessifs, et la vision d’un spectacle
vivant qui rendait ses paroles recevables.
Une question me brûlait cependant les lèvres.
Je la posai : « Pourquoi les traites-tu de
« lumache ? ». Elle éclata de rire avant
d’expliquer : « Ne sais-tu pas que le touriste
nouveau est sur le marché. L’été, les classes
moyennes ne laissent plus leurs sous ni chez
moi, ni au resto, ni chez Casino. Moins
friqués et moins sédentaires, ils se sont
convertis au camping-car et à l’autosuffisance.
Aussi, je les appelle les « lumache » car,
comme les escargots, ils voyagent avec leur
maison. Et je t’avoue que je préfère cent fois
les « pumataghji » avec leur sacs-à-dos car,
au moins, ils achètent sur place. Il arrive
même qu’ils se fassent un resto ou, s’il pleut
ou s’ils sont trop fatigués, qu’ils dorment
une nuit à l’hôtel. Alors que les « lumache »,
ils font leurs courses chez eux avant de passer
la mer, et consomment essentiellement ce
qu’ils ont apporté. Bref, hormis leurs déchets
et leur, tu vois ce que je veux dire, ils ne nous
laissent rien ! » Foi d’Alexandra, je ne me
moquerai plus jamais des « pumataghji » !
• Alexandra Sereni