Est-il pertinent de vouloir imposer des règles de protection de l’environnement alors que cela menace un projet porteur d’une valeur ajoutée écologique bien plus grande que celle que représenterait le respect de la loi ?
Sur le cordon lagunaire de la Marana, des dizaines de bassins et d’aquariums accueilleront un jour des alevins de poissons et de crustacés. Ils y seront élevés ou étudiés afin de gérer durablement les ressources littorales et halieutiques de la Corse, ce qui contribuera à préserver l’écosystème et la biodiversité. Initiatrice de projet intitulé Stella mare, l’Université de Corse a dernièrement invité les partenaires institutionnels et scientifiques, ainsi que les médias, à en découvrir l’avancement. Ce projet est assurément très ambitieux. Conseillère exécutive ayant en charge le dossier Stella Mare, Emmanuelle de Gentili a précisé qu’il s’agissait d’un « projet phare » de la Stratégie Régionale de l’Innovation récemment validée par l’Assemblée de Corse. Le président de l’Université de Corse a pour sa part souligné qu’associant les savoirs d’universitaires et de chercheurs, la pêche artisanale et l’aquaculture selon une démarche de développement durable des ressources halieutiques des côtes corses, Stella mare revêtait une importance scientifique, économique et écologique de dimension internationale. Cette affirmation n’a pas été démentie par le président de l’Université Pierre et Marie Curie-Paris VI. Celui-ci a affirmé : « Face aux grands défis qui nous attendent pour protéger les écosystèmes humain et halieutique, on ne pourra pas s’en tirer sans la science » et annoncé que Stella Mare s’inscrirait dans le réseau européen des stations marines.
Un « cheval de Troie » de la spéculation ?
Stella Mare suscite pourtant le mécontentement. L’association agréée de protection de l’environnement U Levante considère que la localisation des bâtiments devant abriter les installations et les personnels (entre mer et étang sur le cordon lagunaire de la commune de Biguglia) contrevient à la loi Littoral. En décembre dernier, avant qu’ils délibèrent, elle a d’ailleurs écrit aux conseillers de Corse pour attirer leur attention. L’association a signalé que la bande des 100 mètres s’applique sur les deux côtés, que le bord de mer est une ZNIEFF de type 1 et que la zone est inconstructible si les lois de l’urbanisme sont appliquées. Elle a aussi exposé que « dans la bande des 100 mètres, seules les installations exigeant la proximité immédiate de l’eau sont autorisées » et que les installations projetées « ne répondent pas à cette exigence ». En effet, selon U Levante, pour être considérées comme tels, il ne suffit pas que les bâtiments soient en relation avec une activité de culture ou de recherche marine. Par ailleurs, l’association a fait part de sa crainte que « certaines installations soient prévues à l’intérieur de la ZNIEFF côté mer » ce qui serait contraire aux orientations du Schéma d’aménagement de la Corse. Enfin, dénonçant des travaux ayant déjà eu lieu sans permis de construire ou autorisation de travaux affichés, U Levante a fait valoir que le Code de l’Urbanisme interdisait tout projet d’extension de l’urbanisation à un emplacement éloigné de tout village ou agglomération existants (y compris s’il existait préalablement des constructions), qu’il serait impossible de régulariser des constructions édifiée sans permis de construire et que tout changement de destination d’un bâtiment était soumis à déclaration. Il convient aussi de relever que U Levante voit dans les constructions du projet Stella mare, un « cheval de Troie » pour d’autres réalisations à proximité.
Matière à s’interroger
U Levante ne conteste pas le bien-fondé scientifique, économique et scientifique du projet Stella mare. Mais, en invoquant le non-respect de la loi Littoral, elle tend à le bloquer. En effet, l’association estime qu’il ne peut y avoir d’urbanisation sur le lieu d’implantation. Selon le président de l’Université de Corse, aucun problème ne se pose car seuls seront utilisés les bâtiments qui existent déjà. Toutefois, cette appréciation optimiste de la situation se heurte à celle de U Levante qui considère que ce qui a été édifié illégalement dans le passé, ne peut servir de base juridique ou morale à des aussi louables soient-elles. Admettre que U Levante puisse avoir juridiquement raison n’interdit cependant pas de s’interroger. Est-il pertinent de vouloir imposer des règles de protection de l’environnement alors que cela menace la réalisation d’un projet de 8 M€, bénéficiant d’un financement Collectivité Territoriale de Corse / État / Union européenne, et pouvant apporter une valeur ajoutée écologique bien plus grande que celle que représenterait en l’espèce le respect de la loi Littoral ? Faut-il toujours être en vert et contre tout ? Des réponses qu’il sera apporté, dépendra sans doute l’avenir d’autres projets susceptibles de mettre la Corse sur les rails du développement durable. Peut-être faut-il aussi relever qu’il serait pour le moins regrettable que Stella mare compromis au nom de la protection de l’environnement alors que, dans notre île, selon des conditions légales ou non, la promotion immobilière impose un développement destructeur et spéculatif, et que ce « mal développer » trouve grâce auprès de bien des gens du fait que, par manque de compétences et faute de financements, les projets d’un développement durable ont été longuement retardés ou ont souvent avorté.
Pierre Corsi