Sauf miracle, la Collectivité Territoriale devra revoir en profondeur la copie concernant le service public maritime et prendre des décisions porteuses d’engagements pérennes.
Le président du conseil de surveillance de la SNCM a jeté un beau pavé dans la mare de la Collectivité Territoriale. Gérard Couturier a écrit à Paul Giacobbi : « Je vais suggérer à Monsieur le Président de VEOLIA TRANSDEV, actionnaire à 66% de la SNCM, de prendre l’initiative de vous proposer d’acquérir cette participation majoritaire pour un euro symbolique. » Cette missive a provoqué des réactions en chaîne. Le président de l’Office des Transports, Pierre-Marie Bartoli, a jugé la suggestion « grotesque et indécente », dénoncé une « communication malsaine » et averti qu’il convenait de ne pas aborder ainsi un débat comportant des enjeux considérables pour la Corse et les personnels. Quant au président du Conseil exécutif, Paul Giacobbi, tout estimant l’offre « peu sérieuse et illégale », il a invité la SNCM à assumer sa responsabilité d’entrepreneur. Son prédécesseur Ange Santini a fait savoir que lui aussi refuserait la proposition de Gérard Couturier. La CGT a de son côté très mal accueillie les choses. « Les rats quittent le navire » a lancé son responsable. Seul le STC l’a favorablement accueillie. Y voyant une porte ouverte à la création d’une compagnie régionale maritime, Alain Mosconi, le leader du syndicat nationaliste, a affirmé : « Quand une multinationale propose de céder la SNCM sur un plateau pour un euro, il faut la féliciter et accepter. »
Un « coup tactique » ?
Certes la lettre de Gérard Couturier pourrait n’être qu’un « coup tactique » destiné à rappeler que VEOLIA n’était originellement pas preneuse de la SNCM, s’irritait d’être dénigrée, s’inquiétait de la création d’une compagnie régionale et souhaitait faire pression sur la Collectivité Territoriale afin d’obtenir des obligations de service publics et une part d’enveloppe de continuité territoriale autorisant une exploitation profitable. Marc Dufour, le président du directoire de la SNCM, l’a d’ailleurs confirmé en ces termes : « L’État a demandé à VEOLIA de venir à son secours dans cette privatisation, de même qu’un certain nombre d’élus se sont tournés vers VEOLIA pour son savoir-faire en tant que gestionnaire de délégation de service public. S’entendre dire qu’elle a fait un hold-up sur les biens de la Corse, alors qu’elle soutient la SNCM à bout de bras, cela a été très mal perçu. (…) A partir du moment où il y a une volonté de créer une compagnie maritime qui se heurte à des problèmes de financement, VEOLIA donne les clés (…) et ne peut pas continuer à cautionner des décisions de réduire le volume maritime. »
Tenir fort la barre
Ces réactions ne doivent toutefois pas dissimuler une réalité : la fête est finie ! En effet, si l’on considère que VEOLIA aurait notifié à la SNCM sa décision de mettre en oeuvre la clause de résolution du protocole d’accord de privatisation de 2006, cela commence à faire beaucoup. Il semble bien que, sauf miracle, la Collectivité Territoriale devra revoir en profondeur la copie concernant le service public maritime et prendre des décisions porteuses d’engagements pérennes. Il ne sera plus possible de se contenter d’ajustements provisoires ou d’études de faisabilité renvoyant commodément les solutions aux calendes grecques. Dans un futur proche, dans un contexte social extrêmement conflictuel pouvant conduire à des grèves qui compromettraient la fréquentation touristique, la Collectivité Territoriale devra tenir fort la barre pour venir à bout des tempêtes. Il lui faudra peut-être : affronter un plan social à la SNCM résultant de l’abandon de l’aide sociale et du service complémentaire (fin des subventions concernant les liaisons de car-ferries en haute saison) ; considérer les exigences d’AIR FRANCE toujours plus gourmande pour assurer le service public aérien et refusant d’intégrer ses 45 indignés ; déterminer la répartition entre le maritime et l’aérien d’une enveloppe de continuité territoriale de moins en moins garnie ; prendre en compte les volontés locales de conserver les dessertes de service public de tous les ports et aéroports insulaires. La Collectivité Territoriale devra d’autant plus tenir bon que, très probablement, l’Etat ne recapitalisera jamais plus la SNCM à hauteur de 280 millions d’euros et qu’Air France vient d’engager un programme de réduction de ses coûts et d’optimisation de ses recettes.
Pierre Corsi