A priori de nature à susciter un consensus, la création d’une compagnie régionale ou bi-régionale de service public ne serait pas exempte d’énormes difficultés.
La Chambre Régionale des Comptes souligne que, ces dernières années, la Collectivité Territoriale a beaucoup failli en matière de contrôle opéré sur les compagnies de navigation ayant en charge le service public de transport maritime entre le continent et la Corse. D’une part, les magistrats considèrent que la Collectivité Territoriale « n’a pas assuré de manière satisfaisante la tutelle qu’elle devrait exercer sur l Office des transports ». D’autre part, ces mêmes magistrats estiment quez l’Office n’a su ni prévenir, ni prévoir, ni stopper l’augmentation du volume des subventions versées aux compagnies de navigation. Ainsi, il n’aurait pas anticipé les évolutions de trafic, ce qui aurait conduit au maintien de deux gestions du service public très coûteuses et aussi contestables l’une que l’autre : l’aide individuelle (dite aide sociale au passager transporté) serait versée sur des lignes de plus en plus fréquentées et ainsi susceptibles de générer des bénéfices commerciaux ; le financement global (subvention de continuité territoriale) concernerait des lignes voyant les fréquentations stagner ou baisser. Bref, selon les magistrats, l’Office des Transports a laissé dilapider l’enveloppe de la continuité territoriale pour le plus grand bénéfice des caisses des compagnies, et les élus territoriaux n’ont pas fait grand-chose que cela change. L’actuelle majorité territoriale n’est bien entendu pas en cause car les magistrats se référent à un période antérieure à mars 2010. Mais, à ce jour, les problèmes demeurent. En réalité, le rapport de la Chambre Régionale des Comptes représente un argument de plus pour ceux qui, au vu de son coût et de son bénéfice contesté, appellent à une refonte du service public maritime.
L’heure des révisions douloureuses
Cette refonte semble d’ailleurs de plus en plus inévitable. Un premier signal a été donné par le président de l’Office des Transports qui, il y quelques mois, a annoncé un remise en cause de l’aide sociale au passager transporté. Le deuxième signal consiste en le mouvement de grève qui, depuis fin janvier, immobilise les navires de la SNCM, fait perdre chaque jour plus de 200 000 euros à cette compagnie, handicape et irrite les acteurs économiques insulaires, et contribue à compliquer la vie résidents et des visiteurs. On peut aussi se demander si VEOLIA acceptera encore longtemps de présider aux destinées d’une SNCM qui ternit son image sociale et est loin de contribuer au bonheur des actionnaires. Il semble même que l’heure des révisions douloureuses ait d’ores et déjà sonné. En effet, il est douteux qu’augmenter le nombre des rotations Corse / Continent au départ de Marseille suffise à compenser les conséquences commerciales, sociales et financières d’un retrait de Nice, d’une vente du navire Liamone et d’une probable réduction de la « galette » que représente l’enveloppe de continuité territoriale. Les personnels sédentaires et navigants ont raison de s’inquiéter, la Corse aussi, car rien ne serait plus désastreux qu’une refonte brutal du système imposée par un désengagement non anticipé de VEOLIA. La création d’une compagnie régionale ou interrégionale de service public (Corse, PACA) est une alternative de plus en plus évoquée. Les syndicats s’y rallient progressivement. La plupart des élus de la CTC y adhèrent ou s’y résignent. Seule la région PACA se fait tirer l’oreille. Quant à l’Etat, il se tait. Cers jours derniers, le STC, la CFDT et la CFTC ont d’ailleurs fait savoir qu’ils étaient prêts à franchir Rubicon pour aller vers la création d’une société publique appartenant aux régions Corse et PACA. En ce sens, ils ont proposé que les deux régions achètent les actifs de la SNCM à VEOLIA (actionnaire à 66 %) pour un montant d’environ 20 millions d’euros.
Moins de navires, moins d’hommes
A priori de nature à susciter un consensus, la création d’une compagnie régionale ou bi-régionale de service public ne serait pas exempte d’énormes difficultés. Ainsi, en soulignant que les personnels embarqués sont bien moins nombreux sur les navires de La Méridionale que sur ceux de la SNCM, Pierre-Marie Bartoli, le président de l’Office des transports, a mis le doigt sur l’épineuse question sociale que représenterait toute tentative de rationnaliser le management d’une future compagnie régionale. Cette rationalisation serait d’ailleurs d’autant plus ardue qu’il faudrait compter avec une réduction de la flotte, de la masse salariale globale et du nombre de sous-traitants locaux car tous les scénarii économiquement raisonnables de compagnie régionale sont fondés sur la seule utilisation de cargos mixtes. Une autre difficulté, et non la moindre, serait d’expliquer que l’équilibre financier exigerait que la compagnie régionale se borne à desservir quotidiennement Bastia et Ajaccio. Enfin, il faudrait obtenir de l’Union Européenne une belle dérogation pour que la dure loi du marché ne soit pas applicable dans le cadre de l’attribution de la délégation de service public. Pierre-Marie Bartoli n’a pas fini d’avoir la migraine…
Pierre Corsi