Yaplubon Banania, yatoujourbon Dumé !
Il existe encore des fonctionnaires pour qui un Antillais de nationalité française ou un Corse n’est pas l’égal d’un autre Français.
Il m’arrive de m’abstraire de notre quotidien. Oublier un peu nos problématiques, cela soulage. Mais le sort est parfois cruel. Il me ramène chez nous alors que je croyais avoir réussi mon évasion. Ainsi, ces derniers jours, parcourant la presse pour en savoir un peu plus sur « l’affaire des quotas » qui envoie un peu plus le football français par le fond et confirme le profond malaise identitaire qui mine la société française, je me suis retrouvée confrontée à la réalité très vivace d’une France où certaines catégories de personnes, dont les Corses, peuvent être traités comme des moins que rien par certains représentants de l’Etat. Tout a débuté en découvrant sur le Net un article de notre confrère France Antilles dont je vous livre la teneur.
Trois « Bananias » persévérants
Il y a quelques semaines, un tribunal parisien a examiné la requête de trois CRS d’origine antillaise demandant que l’Etat soit condamné à les indemniser en raison d’un préjudice subi à l’occasion d’un dysfonctionnement du service public de la justice survenu dans les circonstances suivantes. Un matin de juin, lors d’une mission en Corse, les plaignants prenaient leur petit-déjeuner au foyer de leur cantonnement. Les ayant aperçus, un de leurs officiers leur avait lancé : « Ca va les Bananias ? ». Goûtant peu la plaisanterie, nos CRS avaient alors déposé plainte pour « injures non publiques en raison de l’origine, de l’ethnie, de la nation, de la race ou de la religion ». Mais, à leur grand désarroi, la justice leur avait semblé botter en touche. En effet, ayant été reçus par le procureur de la République ayant en charge le dossier, les intéressés avaient appris que leur gradé ayant été administrativement sanctionné (un avertissement), leur plainte n’avait pas été traitée et était prescrite. Outrés et persévérants, nos trois CRS ont alors décédé de ne pas en rester là. Ils ont assigné l’Etat pour déni de justice. Lors de l’audience, le ministère public a reconnu en l’inaction du procureur « une déficience caractérisée traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir une mission dont il est investi. » Comme l’a souligné l’avocat des trois CRS, il semble que la puissance publique ait préféré que l’Etat réponde d’un déni de justice plutôt que d’envoyer un officier de police répondre d’avoir tenu des propos à caractère raciste à l’encontre de subordonnés.
Tous des malades
Cette affaire rappelle qu’au sein de l’appareil d’Etat, il existe encore des fonctionnaires pour qui un Antillais de nationalité française n’est pas forcément l’égal d’un autre Français. Le qualifier de « Banania » ne serait au fond qu’une bonne blague ou au pire une vénielle maladresse. Cela étant, nos trois CRS auront en définitive été mieux considérés que nous autres Corses. En effet, dans des affaires de même nature, nous avons tout bonnement été déboutés par la Justice. En clair : « Yaplubon Banania, yatoujourbon Dumé ! » Ce qui permet aux caricaturistes, aux humoristes, aux journalistes et en fait à tout le monde de se gausser de nous et de nôtre île en toute quiétude. Nous présenter comme une communauté de malades mentaux, d’attardés, de voyous et de racistes est considéré comme normal et drôle, et aucunement attentatoire à notre dignité d’êtres humains. Au fond, nous devrions pouffer de rire quand, comme l’a fait une célèbre chroniqueuse sur un plateau télé, on nous affirme : « Les Corses vous êtes tous des malades. » Il serait aussi bienséant que nous commémorions, chaque année, cette bonne phrase d’un chanteur bien connu qui avait été retranscrite dans un hebdo national : « Depuis que Sardou s’est entiché de son île de crétins, je ne le vois plus. » Et, bien entendu ; nous serions bien inspirés de trouver hilarant le trait d’humour qu’était censée constituer la préconisation d’une « euthanasie des Corses ». J’ajoute qu’il serait même urgent et bienvenu que la CTC, au titre de l’aide à l’édition, accorde une subvention à la réédition de l’ouvrage culte « 22 raisons de dire merde aux Corses ».
Alexandra Sereni