La bombe Giacobbi
Le président du Conseil exécutif a mis le feu aux poudres en évoquant la possibilité que l’accession à la propriété foncière soit réservée aux personnes pouvant justifier d’au moins cinq ans de résidence ou d’une origine familiale insulaire.
Paul Giacobbi a fait au moins aussi bien qu’une « nuit bleue ». Il a suffi qu’il prononce quelques phrases pour que des clivages dont on aurait pu croire qu’ils étaient surannés, refassent surface au sein de la classe politique insulaire et que la polémique et la confrontation remplacent le dialogue. A quelques semaines d’une session de l’Assemblée de Corse devant être consacrée à la question foncière, à la fiscalité dérogatoire, au statut de résident et à l’évolution institutionnelle, le président du Conseil exécutif a mis le feu aux poudres en se déclarant favorable à un contrôle des ventes de terrains et de biens immobiliers visant à empêcher la spéculation. Plus précisément, il a évoqué la possibilité que l’accession à la propriété foncière soit réservée aux personnes pouvant justifier d’au moins cinq ans de résidence ou d’une origine familiale insulaire. Un tantinet polémique, il a ajouté : « Si on peut acheter un terrain en Corse aussi aisément qu’une tablette de chocolat sur le rayon d’un supermarché, on court à la catastrophe. Il faut donc limiter l’accès à la propriété foncière pour les non-résidents »,
Un front du refus
Les réactions négatives sur le fond n’ont pas
tardé. En quelques jours, à partir de motivations
jacobines ou libérales, il s’est constitué un
véritable front du refus. Les jacobins sont à
nouveau vent debout. Jugeant que « la Corse
n’est pas en droit de déroger au droit commun
» et que la spéculation foncière est « un faux
problème » car n’étant « pas propre à la Corse
», l’association France-Corse condamne les
propos de Paul Giacobbi, y voyant matière «
à faire de nos compatriotes continentaux des
boucs émissaires » et à vouloir « satisfaire une
revendication essentielle du programme des
nationalistes ». Le Président UMP du Conseil
général de la Corse-du-Sud, Jean-Jacques
Panunzi, réaffirme son opposition au statut de
résident, l’estimant « discriminatoire » et y
voyant une concession faite aux nationalistes.
Quant aux libéraux, ils attaquent sabre au clair.
Marcel Francisci, le président de la fédération
UMP de la Corse-du-Sud, estime que la
spéculation foncière « n’est pas un fléau ». Il
y voit même une contribution bénéfique à
l’économie car « les non-résidents font marcher
les commerçants corses » et « si on achète une
propriété plus chère, le vendeur fait une bonne
affaire ». Camille de Rocca-Serra, député
UMP de la 2e circonscription de la Corse-du-
Sud soutient qu’empêcher les gens d’investir
dans des résidences secondaires, détruira la
loi de l’offre et la demande. Enfin, ajoutant une
note libérale à son crédo républicain, Jean-
Jacques Panunzi affirme : « La spéculation
immobilière existe du fait de la rareté des
terrains pour la constructibilité. C’est comme
partout, moins il y a d’offres et plus il y a de
demandes, plus les prix sont élevés (…) Nous
sommes dans un marché qui est libre. Vous
ne pouvez pas empêcher quelqu’un de vendre
un bien et quelqu’un de l’acheter. »
Un démarche du chaos ?
Même si elles approuvent la volonté de Paul
Giacobbi de combattre la spéculation immobilière, des voix jugent irréaliste et
dangereuse la démarche qu’il préconise. Elles
y voient une prise de risque pouvant conduire
au chaos. Vincent Carlotti, animateur du club
la Gauche autonomiste, résume bien ces
appréciations. Il considère que la prise de
position du président du Conseil exécutif
représente « un caillou dans la chaussure » de
la majorité territoriale et un « coup de canif
» porté à la politique gouvernementale de la
part d’un parlementaire qui se pose de plus en
« opposant radical ». Relevant que, même si
Paul Giacobbi impose son point de vue, toute
réforme constitutionnelle sera impossible
faute de majorité qualifiée au Congrès, Vincent
Carlotti redoute même une impasse : « Si
l’esprit de synthèse qui a jusqu’à présent
régné à l’Assemblée de Corse venait à manquer
à la fin septembre, on peut craindre que le
désenchantement qui pourrait résulter d’un vote
étriqué soit à la hauteur des espoirs qui ont été
soulevés, volens nolens, au cours des deux
dernières années. Il faudra alors gérer les
déconvenues, ce qui est autrement plus difficile
que de susciter l’espoir (…) Si c’était le cas,
ce serait avant tout plus une erreur sur la
méthode qu’une erreur sur le fond qui y aurait
conduit ». Cette vision des choses semble
aussi être celle d’une partie des médias si on
en croit un article de Corse Matin intitulé
« Spéculation foncière : la bombe à
fragmentation de Paul Giacobbi », prédisant
que le débat sur la question foncière sera
« caniculaire ».
Quid de la majorité territoriale ?
Le rédacteur de l’article évoque très justement
un « terrain miné » et relève que « dans sa
grande sagesse », et contrairement à Paul
Giacobbi, Pierre Chaubon avait « suggéré et
obtenu de déconnecter le débat du foncier
de celui sur le projet constitutionnel (...) pour
espérer rallier à sa cause une majorité d’élus. »
L’honorable confrère ajoute pertinemment
que le président du Conseil exécutif s’expose
« à des vents contraires ici, à Paris et à
Bruxelles car une volonté politique, aussi
justifiée soit-elle, ne peut pas entamer sans
fondation juridique et éthique solide la liberté
d’accession à la propriété. » Certes il tempère
les conclusions de son analyse en envisageant
une porte de sortie, imaginant que Paul
Giacobbi pourrait obtenir que « le gouvernement
accepte de jouer le marchepied ». Mais le
réalisme incline plutôt à envisager des remous
et des fractures, en particulier au sein de la
majorité territoriale. Une première fêlure
vient d’ailleurs d’apparaître au sein du Front
de Gauche. François-Xavier Riolacci, adjoint
au maire de Bastia, membre influent de la
fédération du Parti Communiste de la Haute-
Corse, considère qu’en acceptant de débattre
à la tribune des Ghjurnate Internaziunali di Corti
organisées par Corsica Libera, Maria Giudicelli
a commis « une faute politique » ayant pour
conséquence que « la position du Front de
Gauche n’est plus représentée à l’Exécutif ».
En prenant connaissance de cette prise de
position, on peut raisonnablement se demander
ce que pensent et décideront les élus territoriaux
de la Gauche Républicaine et quelques autres,
et ce qu’il en sera, à l’automne, de la cohérence
et de la cohésion de la majorité territoriale.
Pïerre Corsi