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Question foncière : La bombe Giacobbi

vendredi 16 août 2013, par Journal de la Corse

La bombe Giacobbi

Le président du Conseil exécutif a mis le feu aux poudres en évoquant la possibilité que l’accession à la propriété foncière soit réservée aux personnes pouvant justifier d’au moins cinq ans de résidence ou d’une origine familiale insulaire.

Paul Giacobbi a fait au moins aussi bien qu’une « nuit bleue ». Il a suffi qu’il prononce quelques phrases pour que des clivages dont on aurait pu croire qu’ils étaient surannés, refassent surface au sein de la classe politique insulaire et que la polémique et la confrontation remplacent le dialogue. A quelques semaines d’une session de l’Assemblée de Corse devant être consacrée à la question foncière, à la fiscalité dérogatoire, au statut de résident et à l’évolution institutionnelle, le président du Conseil exécutif a mis le feu aux poudres en se déclarant favorable à un contrôle des ventes de terrains et de biens immobiliers visant à empêcher la spéculation. Plus précisément, il a évoqué la possibilité que l’accession à la propriété foncière soit réservée aux personnes pouvant justifier d’au moins cinq ans de résidence ou d’une origine familiale insulaire. Un tantinet polémique, il a ajouté : « Si on peut acheter un terrain en Corse aussi aisément qu’une tablette de chocolat sur le rayon d’un supermarché, on court à la catastrophe. Il faut donc limiter l’accès à la propriété foncière pour les non-résidents »,

Un front du refus
Les réactions négatives sur le fond n’ont pas tardé. En quelques jours, à partir de motivations jacobines ou libérales, il s’est constitué un véritable front du refus. Les jacobins sont à nouveau vent debout. Jugeant que « la Corse n’est pas en droit de déroger au droit commun  » et que la spéculation foncière est « un faux problème » car n’étant « pas propre à la Corse  », l’association France-Corse condamne les propos de Paul Giacobbi, y voyant matière «  à faire de nos compatriotes continentaux des boucs émissaires » et à vouloir « satisfaire une revendication essentielle du programme des nationalistes ». Le Président UMP du Conseil général de la Corse-du-Sud, Jean-Jacques Panunzi, réaffirme son opposition au statut de résident, l’estimant « discriminatoire » et y voyant une concession faite aux nationalistes. Quant aux libéraux, ils attaquent sabre au clair. Marcel Francisci, le président de la fédération UMP de la Corse-du-Sud, estime que la spéculation foncière « n’est pas un fléau ». Il y voit même une contribution bénéfique à l’économie car « les non-résidents font marcher les commerçants corses » et « si on achète une propriété plus chère, le vendeur fait une bonne affaire ». Camille de Rocca-Serra, député UMP de la 2e circonscription de la Corse-du- Sud soutient qu’empêcher les gens d’investir dans des résidences secondaires, détruira la loi de l’offre et la demande. Enfin, ajoutant une note libérale à son crédo républicain, Jean- Jacques Panunzi affirme : « La spéculation immobilière existe du fait de la rareté des terrains pour la constructibilité. C’est comme partout, moins il y a d’offres et plus il y a de demandes, plus les prix sont élevés (…) Nous sommes dans un marché qui est libre. Vous ne pouvez pas empêcher quelqu’un de vendre un bien et quelqu’un de l’acheter. »

Un démarche du chaos ?
Même si elles approuvent la volonté de Paul Giacobbi de combattre la spéculation immobilière, des voix jugent irréaliste et dangereuse la démarche qu’il préconise. Elles y voient une prise de risque pouvant conduire au chaos. Vincent Carlotti, animateur du club la Gauche autonomiste, résume bien ces appréciations. Il considère que la prise de position du président du Conseil exécutif représente « un caillou dans la chaussure » de la majorité territoriale et un « coup de canif  » porté à la politique gouvernementale de la part d’un parlementaire qui se pose de plus en « opposant radical ». Relevant que, même si Paul Giacobbi impose son point de vue, toute réforme constitutionnelle sera impossible faute de majorité qualifiée au Congrès, Vincent Carlotti redoute même une impasse : « Si l’esprit de synthèse qui a jusqu’à présent régné à l’Assemblée de Corse venait à manquer à la fin septembre, on peut craindre que le désenchantement qui pourrait résulter d’un vote étriqué soit à la hauteur des espoirs qui ont été soulevés, volens nolens, au cours des deux dernières années. Il faudra alors gérer les déconvenues, ce qui est autrement plus difficile que de susciter l’espoir (…) Si c’était le cas, ce serait avant tout plus une erreur sur la méthode qu’une erreur sur le fond qui y aurait conduit ». Cette vision des choses semble aussi être celle d’une partie des médias si on en croit un article de Corse Matin intitulé « Spéculation foncière : la bombe à fragmentation de Paul Giacobbi », prédisant que le débat sur la question foncière sera « caniculaire ».

Quid de la majorité territoriale ?
Le rédacteur de l’article évoque très justement un « terrain miné » et relève que « dans sa grande sagesse », et contrairement à Paul Giacobbi, Pierre Chaubon avait « suggéré et obtenu de déconnecter le débat du foncier de celui sur le projet constitutionnel (...) pour espérer rallier à sa cause une majorité d’élus. » L’honorable confrère ajoute pertinemment que le président du Conseil exécutif s’expose « à des vents contraires ici, à Paris et à Bruxelles car une volonté politique, aussi justifiée soit-elle, ne peut pas entamer sans fondation juridique et éthique solide la liberté d’accession à la propriété. » Certes il tempère les conclusions de son analyse en envisageant une porte de sortie, imaginant que Paul Giacobbi pourrait obtenir que « le gouvernement accepte de jouer le marchepied ». Mais le réalisme incline plutôt à envisager des remous et des fractures, en particulier au sein de la majorité territoriale. Une première fêlure vient d’ailleurs d’apparaître au sein du Front de Gauche. François-Xavier Riolacci, adjoint au maire de Bastia, membre influent de la fédération du Parti Communiste de la Haute- Corse, considère qu’en acceptant de débattre à la tribune des Ghjurnate Internaziunali di Corti organisées par Corsica Libera, Maria Giudicelli a commis « une faute politique » ayant pour conséquence que « la position du Front de Gauche n’est plus représentée à l’Exécutif ». En prenant connaissance de cette prise de position, on peut raisonnablement se demander ce que pensent et décideront les élus territoriaux de la Gauche Républicaine et quelques autres, et ce qu’il en sera, à l’automne, de la cohérence et de la cohésion de la majorité territoriale.

Pïerre Corsi

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