Que voulons-nous réellement ?
Pierre Chaubon et les nationalistes semblent bien décider à exiger un changement de la Constitution française avec cependant la quasi-certitude d’un échec. Il est vraisemblable que le but ultime n’est pas le même pour le réformiste et ceux qui ne voient dans cette évolution qu’une étape vers l’indépendance. Cependant tous ont oublié au cours de leurs débats, au demeurant fort intéressants, le désir de ceux au nom de qui ils parlent : les Corses ?
Un débat entre spécialistes
Je doute personnellement que le peuple corse
ou plutôt les Corses, ait compris grand-chose
au débat complexe initié par la commission
Chaubon. Il me paraît évident qu’en général
et la plupart du temps, les citoyens, à l’exception
de l’étroite frange militante, ne votent guère
pour des principes mais pour leurs intérêts
immédiats ou futurs. Croire le contraire
revient à confondre le pays réel et le pays
imaginaire, confusion qui fut lourde de drames
dans l’histoire humaine. Les Corses les plus
défavorisés désirent simplement une
amélioration de leur quotidien qu’elle passe
ou non par une réforme administrative. Rien
de plus, rien de moins. Les classes moyennes
désirent ne plus être la vache à lait des
gouvernements successifs, toujours à la
recherche d’argent pour combler les trous
budgétaires provoqués par leur incurie. Quant
aux Corses les plus nantis, les vende patria,
ils sont à l’affût des bonnes affaires à venir
et à l’évidence, ne crachent pas sur la
spéculation immobilière voire pour certains
une complicité ouverte avec le grand
banditisme. Tout l’art du politique est de
parvenir à concilier ces points a priori
divergents et de les faire tenir dans le dé à
coudre qui contient l’avenir de la Corse. Pas
facile à exécuter.
De la constance, mais pas forcément
du réalisme
Pierre Chaubon et les nationalistes ont de la
constance. C’est là une grande qualité. Sans
les nationalistes bien peu de chose aurait
évolué dans cette île d’essence conservatrice.
Néanmoins, on a parfois l’impression qu’ils
agissent plus par croyances, en invoquant
des formules magiques plutôt qu’en agissant
de manière empirique et pragmatique. Je ne
voudrais surtout pas jeter la pierre à cette
minorité qui tente de faire bouger les choses.
Mais aucun d’entre eux n’a expliqué, jusqu’à
maintenant, l’intérêt économique pour les
corses d’une autonomie et encore moins
d’une indépendance. La revendication reste
ontologique. Elle paraît se suffire à ellemême.
Il ne fait aucun doute que politiquement,
elle permettrait plus de liberté. Mais pour en
faire quoi et avec quoi ? L’autonomie signifierat-
elle qu’un certain nombre d’élus, comme en
Sicile, auront désormais la haute main sur la
collecte de l’impôt et son utilisation ? Auquel
cas, je n’en voudrais pour rien au monde. Il
faut définir des axes, des cibles et des moyens
de contrôle. Voilà ce que la commission
Chaubon va devoir décrire par le menu, faute
de quoi, elle obtiendra peut-être la majorité
chez les élus, mais beaucoup d’ennuis
dramatiques par la suite.
Convaincre la France
Ensuite, et ce sera là l’obstacle le plus difficile
à franchir (pour ne pas dire infranchissable),
il va falloir convaincre une classe politique
française en plein désarroi d’abandonner le
dogme du centralisme. Quiconque a étudié
l’histoire de France en conclut que c’est là une
tâche impossible. Louis XV puis Louis XVI
ont réagi aux tentatives d’autonomisation
des parlements provinciaux par un regain
d’absolutisme jusqu’à ce qu’ils soient obligés
de lâcher prise dans des conditions
catastrophiques. La IVe République a abouti
au coup d’état du Général De Gaulle etc.
etc. Or, dans ses interviews, M. Chaubon, établit
un plan de bataille, comme si cette étape
était une simple formalité. La conséquence
d’un échec risque fort d’être une désillusion
de plus qui focalisera les ressentiments. Les
nationalistes vont mettre sur le compte de cet
éventuel tel refus tous les abandons à venir.
Or la question institutionnelle n’est rien
d’autre que celle prétend être : une enveloppe
vide dans laquelle il faut glisser un contenu
concret, une feuille de route rigoureuse. On
l’attend toujours. Et on continue, comme
des gamins autour d’un tas de sable, à se
gargariser de mots, à s’engueuler sur ce qui
n’est pas arrivé alors même (je me répète, je
le sais) que nous n’avons pas utilisé la totalité
des possibilités des précédents statuts.
GXC