Une grosse tache noire sur la robe de Marianne On savait que la «  Patrie des droits de l’Homme  » était loin d’être un modèle à suivre en matière de condition pénitentiaire. 15 000 détenus viennent de le confirmer. Ils nous disent ce que vivent au quotidien des centaines d’entre nous, qu’ils soient détenus «  classiques  » ou prisonniers politiques. En 2004, le Conseil de l’Europe avait dénoncé le « traitement inhumain et dégradant  » des détenus dans les prisons françaises. Trois ans auparavant, des parlementaires avaient jugé que les prisons représentaient « une honte pour la France  ». En 2005, le commissaire européen aux droits de l’homme avait affirmé n’avoir rien vu de pire en Europe, sinon en Moldavie, que le dépôt des étrangers sous le Palais de Justice de Paris. La dignité et la famille avant tout Les détenus ne réclament pas un plus grand confort, mais que cessent des conditions matérielles attentatoires à leur dignité. Ils demandent des installations sanitaires préservant l’intimité de la personne. Ils dénoncent le manque d’hygiène et l’insalubrité de leurs cellules. Ils se plaignent du fait que l’encellulement ne soit pas individuel. Les détenus dénoncent aussi des situations injuste et arbitraires : manque de respect des surveillants au quotidien (violences, abus d’autorités) ; absence de droits. Ce qui les conduit à revendiquer les mises en place d’un organe de contrôle extérieur et d’un dispositif d’information sur leurs droits. Enfin, les détenus se sentent privés d’un respect de leurs droits lorsqu’ils font l’objet d’un placement en quartier disciplinaire ou lors des interventions de sécurité. Ils souhaiteraient que ne soit pas ajouté à une sanction disciplinaire (mitard), un retrait de réduction de peine. Ils voudraient aussi pouvoir assister à la fouille de leur cellule et que soit supprimée la fouille corporelle intégrale. Les détenus expriment aussi un besoin de maintien du lien familial. En ce sens, ils réclament d’être emprisonnés dans un établissement proche de chez eux. Ils souhaitent aussi que soit augmentée la durée des parloirs et pouvoir rencontrer leurs proches dans des conditions respectant l’intimité. Enfin, le régime de détention des prévenus leur paraît particulièrement insatisfaisant. Préventive éprouvante, angoisse du suicide et exploitation Les détenus en maison d’arrêt, pour la plupart en situation de détention préventive et donc non encore jugés, souffrent d’être soumis durant de longues périodes à un régime de détention particulièrement éprouvant : peu de «  promenades  », limitation des contacts avec l’extérieur, pas d’activité de réinsertion, forte promiscuité… Les prévenus sont d’ailleurs les proies désignées et les premières victimes du fléau des prisons : le suicide ; même si, en réalité, toutes les personnes emprisonnées avouent se sentir extrêmement fragiles face à cet acte désespéré. Aussi, la plupart des détenus estiment qu’il faut apporter un soutien psychologique lors des moments à risque (incarcération, placements au quartier disciplinaire, procès, problèmes familiaux…) ainsi qu’améliorer la formation du personnel pénitentiaire en matière de prévention du suicide. Enfin, beaucoup de détenus vivent dans la crainte de la pauvreté dans les murs et de l’exclusion une fois libérés. Pour surmonter cette crainte et préparer leur avenir, ils se disent prêt à travailler en prison. Cependant, ils s’insurgent contre l’exploitation que constitue le travail carcéral, et demandent que le travail en prison soit rémunéré dans les mêmes conditions que le travail à l’extérieur et que le Code du travail soit respecté. Voir changer le regard de la société sur le détenu Enfin, une grande majorité de détenus est demandeuse d’une véritable politique de réinsertion sociale. Ce qui les conduit à revendiquer davantage d’enseignement ou de formation. Ce qui détermine leur attente forte quant à un accès facilité aux dispositifs d’urgence sociale. Tout cela les rend bien entendu très critiques concernant le profil professionnel des personnels de l’administration pénitentiaire. Les détenus considèrent en effet nécessaires que l’administration pénitentiaire dépasse la dimension surveillante et répressive. Ils aspirent à voir augmenter le nombre de travailleurs sociaux et d’intervenants extérieurs. Les détenus jugent aussi que les alternatives à l’emprisonnement ne sont pas assez développées. Ils souhaitent des réformes en ce sens comme la limitation des durées de placement en détention provisoire, le recours au contrôle judiciaire et l’aménagement des peines. En réalité, nombre de détenus sont loin d’être installées dans la délinquance ou la grande criminalité. D’où un vécu carcéral difficilement assumé ou subi, et un besoin fort de le ressentir comme une étape vers une autre vie et une intégration sociale. D’où aussi l’attente d’une main tendue. Ce qui est d’ailleurs confirmé par le fait qu’à la question « Qu’attendez-vous d’une réforme ?  », nombre de détenus aient répondu : « Voir changer le regard de la société sur la prison  ». Pierre Corsi Â