Les torpilles dirigées contre Corsica Ferries seraient-elles de nature à couler la compagnie ? La couler certainement pas, la déstabiliser peut-être et si elle n’en n’est pas encore à dériver vers le cap des tempêtes il est clair que les assauts qu’elle subit actuellement sont loin d’être innocents. Pour leur opposer la nécessaire résistance ses dirigeants ne manquent ni d’imagination ni d’énergie. Encore moins de ténacité. Et ils le font savoir. A toutes fins utiles.
La Corsica Ferries s’est vue déboutée de sa requête devant le tribunal administratif de Bastia. Le juge des référés a ainsi estimé que la demande de votre compagnie qui réclamait la suspension de la décision de l’Office des Transports relative au dispositif d’’aide sociale entre Toulon Nice et la Corse n’était pas recevable. Quels sont les motifs de votre réaction ?
Effectivement notre requête qui visait, en urgence, à suspendre la décision de l’Office des transports de ne plus nous rembourser l’aide sociale aux passagers à été rejetée. Le jugement au fond devrait intervenir rapidement, nous espérons pouvoir convaincre les juges que cette décision n’est pas imposée par l’intérêt général et que notre convention d’aide sociale qui avait été réduite et plafonnée mais prolongée jusqu’à fin 2013 doit aller à son terme. Je rappelle que cette décision de supprimer l’aide sociale à été annoncée par le président de l’office des transports le lendemain du jour où la Cour administrative d’Appel de Marseille avait, à notre demande déclaré illégale la DSP de Marseille. Une manière de nous punir d’avoir eu raison en quelque sorte.
La commission européenne et son délégué aux transports ont un autre aperçu de la situation. Alors pourquoi deux poids et deux mesures ?
Nous ne sommes pas sur le même sujet : la commission européenne à décider d’enquêter de manière approfondie sur la Délégation de Service Public au départ de Marseille en ce qu’elle a des doutes sur le respect des règles européennes. Il s’agit notamment de ce qui concerne la procédure d’attribution, le fameux service de pointe des grands ferries en saison et surtout des compensations excessives éventuellement perçues.
Ne pensez-vous pas qu’il y ait là une attaque pour le moins sournoise contre une compagnie de transports maritimes à laquelle la Corse doit beaucoup ?
Nous subissons une campagne de dénigrement menée par la SNCM, ses marins CGT relayée par certains politiques et appuyée par des conflits sociaux. On nous accuse de tous les maux pour mieux faire passer une série de mesures qui, mises ensembles, nous expulseront des lignes avec le continent français : imposition du pavillon français, suppression de l’aide sociale à nos passagers et DSP à Toulon taillée sur mesure pour la SNCM sont les armes de cette guerre sainte qui est menée contre nous.
Et n’y a-t-il pas derrière tout cela comme une volonté encore secrète d’œuvrer à un retour du monopole de pavillon ?
C’est évident. C’est une fantastique machine à remonter le temps. Ce bon vieux temps où la "Transat" comme on l’appelait à l’époque, régnait en maître, où l’argent de la continuité territoriale servait à financer les chantiers navals français, la paix sociale à Marseille ou les infrastructures portuaires à Nice. Le temps où les corses faisaient la queue en janvier devant des guichets pour acheter un billet coûtant un demi-mois de salaire et espérer pendant 6 mois qu’une grève ne les empêcheraient pas de voyager le moment venu. Le temps où on n’avait pas le choix.
Et face à cette volonté, cette fois-ci délibérée, de « couler » vos ferries, quels sont les éléments de riposte que vous comptez organiser ?
Nous n’en n’avons pas tant que ça. On nous le reproche tout le temps, mais n’étant pas des spécialistes du blocage des ports ou du chantage social, il ne nous reste que les tribunaux, partout où c’est possible. Et bien sur espérer que des responsables en Corse sauront dire non à ce qui se prépare. J’ai été ému et étonné de voir la qualité des interventions des socioprofessionnels que ce soir de manière individuelle ou à travers leurs organisations. Je voudrais les en remercier ainsi que tous ceux qui m’arrêtent dans la rue ou nous écrivent pour nous dire ne pas lâcher et qu’ils soutiennent la compagnie et ses salariés dans ce combat qui occupe les médias depuis plusieurs années maintenant.
Ne craignez-vous pas que cette « bataille navale » porte surtout atteinte aux intérêts des usagers qui sont, bien entendu, dans l’incapacité, de lever des boucliers autres que virtuels ?
Le risque bien réel pour eux c’est que sous prétexte de sauver la SNCM, on va leur imposer un retour au monopole. Et ça n’est jamais bon pour les clients. Ces fameuses règles européennes sont là pour les protéger des abus qu’ils ont connus, comme d’autres insulaires en Europe. Tous ces projets anti concurrence tentent de les contourner.
Revenons à vos concurrents directs : SNCM et CMN, bénéficiaires potentiels d’une éventuelle DSP sur la ligne Corse-Toulon ? Est-ce qu’ils vont être conduits à abaisser leurs tarifs ou tout simplement beurrer leurs épinards ?
La DSP est très rentable pour celui qui gère bien et qui en est titulaire. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’exemple de la CMN qui a la même que la SNCM et qui est tout autant en concurrence avec nous. Et alors ? Elle gagne de l’argent et l’investit. La DSP Toulon est née d’une idée de la SNCM : comme le service de pointe de Marseille va disparaître, qu’elle a besoin d’employer ses navires et ses marins, il suffit de lui faire une DSP sur mesure à Toulon. Au passage on évincera Corsica ferries et le tour sera joué. Et bien au contraire les tarifs augmenteront. Sans concurrence c’est garanti et imparable.
Cette extension de la Délégation de service public ne résulterait-elle pas d’une collusion dirigée contre Corsica Ferries ou faut-il croire qu’elle a été pensée pour favoriser uniquement le port de Toulon ?
Favoriser Toulon, qui y croit ? Il s’agit de favoriser la SNCM. Les CCI de Corse et celle de Toulon ont clairement dit qu’elles n’en voulaient pas. Si au moins ceux qui montent ces projets avaient l’honnêteté de reconnaître les vrais raisons qui les motivent, ils feraient gagner du temps à tout le monde ! Au lieu de cela, on nous contraint à accepter des raisonnements absurdes. Comment, après avoir abandonné en 2001 un port de Toulon moribond après 25 ans de DSP, on va le sauver, lui qui grâce à la concurrence et en 10 ans est devenu le premier port avec la Corse ! Il faut rester sérieux. La DSP est là pour pallier aux carences. De quelles carences souffre donc Toulon ? On se le demande.
On dit que la saison serait loin d’être faste. Faut-il craindre une aggravation provoquée par une guerre que vous n’avez pas déclarée ?
Nous ne sommes pas optimistes pour les résultats du trafic 2012. Les causes sont multiples, les conflits sociaux et cette "guerre" n’arrangent rien. Elle s’ajoute à une accumulation de facteurs négatifs qui vont de la baisse et du plafonnement de l’aide sociale à la hausse des prix du carburant en passant par la crise économique profonde que traverse l’Europe.
Loin de baisser les bras vous allez, au contraire, tout faire pour élargir votre leadership sur les lignes de Corse. Comment allez-vous vous y prendre ?
Un avocat adverse a déclaré cette semaine, en commençant sa plaidoirie contre nous : "Corsica ferries ne désarme jamais". Je suis d’accord ! Ces années de combat sur tous les fronts et dans un contexte d’une hostilité incroyable nous ont appris à ne jamais penser que nous avions gagné malgré nos bons résultats. Nous savons que nous devrons toujours progresser mètre par mètre et que chaque avancée représentera un effort toujours plus considérable. Nous avons apporté la preuve que la Corse peut être desservie de manière fiable, qualitative et à bas prix sans qu’il soit nécessaire de protéger, dorloter, gaver de subventions les compagnies. Il suffit qu’une fois pour toutes les règles soient fixées et respectées et qu’on arrête de détourner le sens et l’esprit de la continuité territoriale qui est faite pour les Corses et pas pour les compagnies.
(Interview réalisée par Jean-Noël Colonna)