ETA a dit adieu aux armes. Cela ouvre de nouvelles perspectives au nationalisme basque et plus particulièrement à la gauche abertzale.
Autorisée en toute dernière minute à participer, au printemps dernier, aux élections municipales et provinciales de la Communauté autonome basque et de la Navarre, BILDU (coalition inspirée par Batasuna, parti de gauche abertzale interdit car proche d’ETA) est devenue la deuxième force politique d’Euskadi. Elle a totalisé plus de 25 % des suffrages, n’étant devancée que par le PNV (Parti nationaliste basque, abertzale de droite) qui en a obtenu 30 %. Elle a enlevé près d’une centaine de municipalités et est entrée en force au sein des parlements provinciaux (assemblées composées de 51 députés). BILDU s’est en effet largement imposée dans la province de Gipuzkoa, obtenant 22 députés devant le PNV (14), le Parti socialiste (10), le Parti populaire (4) et les nationalistes d’ARALAR (1). En Biscaye, BILDU (12) a été précédée par le PNV (21) mais a devancé le Parti socialiste (10) et le Parti populaire (8). En Alava, BILDU (12) est arrivée en troisième position derrière le Parti populaire (16), le PNV (13), le Parti socialiste (8) et Ezker Batua (2), une formation de gauche. Enfin, en Navarre, province basque non rattachée à la Communauté autonome, BILDU a obtenu plus de 11 % des suffrages. BILDU a dépassé de loin les meilleurs scores électoraux jamais réalisés par la gauche abertzale. Cette percée a certes été favorisée par une dynamique d’union ainsi que par une situation économique et sociale de plus en plus difficile. Cependant, le facteur clé du succès de BILDU a été une évolution politique majeure laissant espérer un arrêt du recours aux armes par ETA. Cette évolution lui a permis de contrer les attaques de partis espagnols et de médias toujours prompts à faire l’amalgame « gauche indépendantiste basque / soutien au terrorisme ». Elle l’a aussi aidée à surmonter les coups bas du PNV. Ainsi le président de ce parti répétait à qui voulait l’entendre que « si un jour BILDU ne se prononçait pas contre un attentat d’ETA, cela signifierait qu’elle avait trompé la société ».
Une influence décisive sur ETA
BILDU a tiré profit de cette évolution politique car la gauche abertzale a joué un rôle majeur dans la démarche d’ETA de suspension puis d’arrêt définitif de l’action armée. C’est en effet au sein de Batasuna et de toutes les structures syndicales, économiques, culturelles et associatives de la gauche abertzale que s’est affirmée une ligne politique majoritaire visant à substituer à la stratégie politico-militaire, une stratégie strictement politique. Cette orientation a d’ailleurs été solennellement affirmée, dès 2010, par la production d’un document et lors d’une déclaration prononcée à Guernica. En annonçant d’abord suspendre l’action armée puis y renoncer, ETA a donc respecté la volonté de sa base nationale et sociale. Elle a aussi renforcé la crédibilité de BILDU en tant que force capable de contribuer de façon décisive à un scénario de désarmement et de paix, propice à une union nationale à vocation majoritaire du Peuple basque. Lors des élections locales du printemps dernier, l’addition des votes en faveur des partis abertzale (PNV, BILDU, ARALAR) a d’ailleurs atteint 65%. Aussi, le retrait d’ETA de la scène politico-militaire impose de facto au PNV de choisir entre la voie nationale portée par BILDU et des alliances avec les partis espagnols qu’il avait jusqu’à ce jour privilégiées, arguant que l’action armée constituait une atteinte à la démocratie. La grande bourgeoisie conservatrice basque dont le PNV constitue la représentation politique, est donc confrontée au dilemme suivant : s’allier avec une gauche abertzale réputée très radicale ou trahir son âme nationaliste en privilégiant, au nom d’intérêts de classe, la compromission avec des partis espagnols rejetant la souveraineté du Peuple basque. Certes, le PNV peut encore gagner du temps en s’alignant sur la position de l’Etat espagnol ayant suivi l’annonce de l’arrêt définitif de l’action armée d’ETA. Madrid exige la remise des armes alors que l’ETA répond que le prix à payer pour cela est la libération des prisonniers politiques.
Le PNV courtise la droite espagnole
Le PNV vient d’ailleurs d’aller dans le sens de la temporisation en refusant de s’allier à la gauche abertzale dans la perspective des élections législatives et sénatoriales qui auront lieu le 20 novembre. En Euskadi, alors que la coalition AMAIUR réunira BILDU et ARALAR, le PNV a refusé de s’inscrire dans cette démarche d’union. Cet isolement et le soutien qu’il a longtemps apporté à Jose Luiz ZAPATERO, risquent de lui coûter une partie de ses élus (6 députés) et son groupe parlementaire au Congrès des députés. Rappelons que la Communauté autonome basque (18) et la Navarre (5) comptent 23 députés et qu’en 2008, les partis espagnols avaient devancé les partis abertzale. Mais il avait été interdit à toutes les personnalités réputées proches d’ETA d’être candidates et la gauche abertzale s’était présentée en ordre dispersé. Aujourd’hui, la donne est toute autre. AMAIUR compte obtenir un score important et veut siéger à Madrid pour obtenir la libération des prisonniers abertzale, défendre les droits nationaux et sociaux du Peuple basque et avancer vers une solution politique définitive. Quant au PNV, il demeure dans une démarche équivoque. Il dit espérer obtenir « un nouveau statut » pour le Pays basque en se fondant sur « l’intelligence de Mariano RAJOY », le leader de la droite espagnole. Ce choix est plus que risqué si l’on considère que pour accréditer l’idée d’une défaite d’ETA et éviter d’aborder les questions cruciales du rattachement de la Navarre à la Communauté autonome basque et du droit à l’autodétermination du Peuple basque, la droite espagnole campe sur la position de fermeture suivante : « Si ETA ne rend pas les armes, il faudra les lui enlever ». Ayant fortement contribué à l’arrêt définitif de l’action armée et ayant pris toute la mesure historique de cette évolution pour échafauder une véritable dynamique de construction nationale, la gauche abertzale semble bien partie pour supplanter, peut-être dès la fin de ce mois de novembre, un PNV en proie à ses contradictions et qui perdrait ainsi le leadership séculaire qu’il exerce sur le nationalisme basque.
Pierre Corsi