MON VILLAGE EN ÉTÉ Chaque été que Dieu fait, les médias dominants nous abreuvent de récits et d’images censés décrire et louer la pérennité de l’esprit de village. Mais ils ne savent pas tout… La télé, la radio et surtout notre quotidien forcément préféré car unique, ignorent des tas d’événements, de scènes et de propos. Mais désormais, vous en saurez davantage sur mon village car, du haut de ma terrasse et du fond de ma cuisine, je regarde, j’observe et j’écoute. «  Pétrou  » et sa chérie du Montparnasse Une grosse berline allemande immatriculée 75 arrive sur la place. C’est «  Pétrou  »Â ! Durant 40 ans, nous l’avons tous appelé «  Petit Pierre  » pour ne pas le confondre avec son cousin germain. Mais, depuis quelques années, sa dernière chérie, une commerçante du Montparnasse «  amoureuse de la Corse  », l’appelle « Pétrou  ». Alors, pour ne pas contrarier cet effort louable d’intégration, nous l’appelons nous aussi «  Pétrou  ». Sympa non ? «  Pétrou  » s’extrait de son auto. Comme il aime à la souligner, il est vêtu «  très simple  »Â : tee-shirt D&G, bermuda d’exilé cubain ayant fait fortune à Miami, Breitling au poignet, Police sur le pif, tongs Calvin Klein aux pieds. Avec l’allure modeste d’un général romain vivant son vingtième triomphe, il toise la place. Vanessa et la Reine Mère Je zappe car voila Vanessa qui passe. Elle est arrivée hier de Bastia. Depuis sa fenêtre, sa Maman l’appelle : «  Vânessaaaaaa  ». La réponse ne tarde pas. «  Lâche-moi un peu, tu me prends déjà la tête, suis en vacances  » aboie la fifille, façon de montrer qu’elle a de la personnalité. D’ailleurs, comment en douter ? Tout trahit que le monde lui paraît susceptible de succomber à ses charmes de Lolita : un jeans de marque ne cachant rien du haut de son string et des formes de son popotin ; un décolleté dont la profondeur donne à penser qu’elle regrette de devoir cacher le haut ; des montures de marque chevauchant des cheveux de jais ; un brillant dans le nombril ; un tatouage sur l’épaule. C’est certain, de par ses attraits et atours, Vanessa se voit aux portes de la majesté absolue. D’ailleurs, scotchée par la réponse sèche de sa progéniture, la Reine mère apparaît déjà sur la pente de l’abdication. Du haut de deux baskets roses, 13 ans et demi chatouillent les étoiles. Sophie et Marie C’est l’heure de la visite quotidienne de Corinne, ma grande copine et un peu cousine secrétaire de mairie. Elle sait tout. Plus encore que le curé. Grâce à elle, je sais que le village reste fidèle à ses us et coutumes. Aujourd’hui, autour de notre traditionnel café de 10 heures sur la table de ma cuisine, elle me raconte que Sophie est furieuse. Lassée d’être déloyalement concurrencée, elle a pris son courage à deux mains. Elle a révélé à ma copine et cousine chérie que sa voisine Marie faisait des ménages «  au noir  » en plus de ses missions à l’ADMR, et qu’il conviendrait de «  faire quelque chose  ». «  Bien sà »r, il faut !  » a répondu son interlocutrice, avant de la mettre en garde contre un possible retour de bâton : «  Il ne faudrait pas que Marie se mette à dire partout que ton copain fait et vend le bois avec son frère, tout en étant Rmiste  ». Corinne et les choses de la vie Intoxiquée par l’esprit citadin, je ne puis m’empêcher de glisser à Corinne que tout cela est «  un peu fort de café  » et que «  nous payons pour eux  ». Elle me répond tranquillement que sans ce genre de petits écarts, le village serait mort depuis longtemps. Et d’ajouter : «  Donner le RMI un peu à tort pour que l’on vive bien ici, évite de payer le RMI et de construire des HLM pour que l’on vive mal à la ville. C’est moins cher et c’est mieux pour tout le monde  ». Logiquement, je devrais rétorquer que la loi est la loi, et qu’elle est applicable à tout le monde. Mais pourquoi contrarier Corinne qui, toute l’année, s’échine à trouver ses solutions aux problèmes des choses de la vie ? Louise et Charles Louise, une amie commune, se joint à nous après avoir frappé au volet entrouvert. Depuis quelques temps, elle ne va pas fort. Une histoire d’héritage la mine. Elle est en guerre avec sa sÅ“ur Marinette pour le partage des meubles et des bijoux de leur mère. Ce qui complique les choses, c’est que l’argent n’est pas en cause. Le différent résulte de la valeur sentimentale attachée à chaque objet. La preuve : pour la maison, toutes deux sont d’accord pour laisser leur frère «  acheter  ». Pour éviter d’aborder ce conflit familial, Corinne joue la diversion. Elle nous montre du doigt un jogger traversant la place : « C’est Charles, d’habitude il court avec la gendarmette  ». Puis, tout en se levant pour retourner à la mairie, elle ajoute : «  C’est fou ce que le sport permet d’aller au contact des populations  » Alexandra Sereni Â