« La contribution de la Corse dans le projet de refondation de l’école sera exemplaire et profitable à l’ensemble. »
L’année 2012 est marquée, au niveau national, par le projet de refondation de l’école. Une réflexion à laquelle sont conviés les trente rectorats de France. En Corse, un débat initial a été organisé, en début de semaine à Ajaccio. Il devrait déboucher, d’ici la fin du mois, sur une réelle participation de l’île dans ce projet national au sein duquel la singularité corse pourrait servir d’exemple. Michel Barat, recteur de l’Académie de Corse, évoque les contours de cette refondation et le rôle que la Corse pourrait y jouer. Il analyse, également, la rentrée scolaire 2012, avec, en toile de fond, une nette progression en terme de résultats et un essor qui incite à l’optimisme.
Les résultats aux examens sont excellents en 2012. Comment expliquez-vous la nette progression enregistrée depuis maintenant quelques années au sein de l’Académie ?
Comme vous le signalez si justement, on note une progression constante. C’est une réussite que l’on doit à plusieurs paramètres. Je pense, en premier lieu, au travail des enseignants mais dans un contexte particulièrement propice. On a réussi quels que soient les conflits, les divergences entre l’administration et les syndicats, dont les points de vue sont légitimes, à établir un climat de confiance et une relation de proximité, c’est un élément très important. On a pu faire, également, comprendre, en Corse comme à l’extérieur, que nous avions une potentialité sur le plan intellectuel. D’autre part, et c’est remarquable au vu des chiffres 2012, presque partout ailleurs, les résultats au bac pro sont en baisse alors qu’ils sont en hausse en Corse. Cela signifie que l’on a réussi à convaincre que la voie professionnelle est une voie de la réussite. C’est quelque chose sur lequel il faudra insister à l’avenir. Enfin, cette réussite est aussi due à l’excellent travail effectué au niveau de l’école élémentaire, sans doute l’une des meilleures de France. Il ne faut pas, non plus, oublier la qualité des chefs d’établissements. Un métier ingrat où il faut tout faire, la gestion, l’administration, la communication, la relation avec les parents d’élèves, etc.
Cette année 2012 est marquée, au niveau national, par la refondation de l’école. En quoi consiste-t-elle ?
La refondation ne touche qu’à la marge, la rentrée 2012, qui, elle, est préparée depuis un an. La Corse, comme vous le savez, participe à une réflexion nationale qui débouchera, d’ici la fin de l’année, sur une loi cadre. L’idée, c’est une refondation à partir d’un constat simple : l’école de la République s’adresse à tous avec cette originalité dans l’histoire de notre pays, c’est que l’idée de la République s’est faite, dans les années 1880, autour de l’école, avec un certain nombre de principes. Il s’agit, aujourd’hui, de revisiter ces fondements et de voir comment, le temps s’étant écoulé avec beaucoup de réformes et de progrès, les rendre de nouveaux vivants. Le savoir évolue, les enfants changent de même que les conditions de vie, il est normal que l’école soit dans une phase de réformation constante. C’est ce que l’on appelle le progrès. La première de ces refondations consiste à revisiter les fondements de l’école, c’est-à-dire, l’école élémentaire. Il y a quelque chose qui ne pourra que sortir de cet effort de réflexion, c’est l’importance donnée à l’école élémentaire. En outre, quand l’école est apparue dans ces années-là, la France était un pays centralisé. Aujourd’hui, dans cette refondation, et c’est un des ateliers importants, il convient de réfléchir à la manière avec laquelle on va donner un accent fort aux singularités des différents territoires sans perdre la vocation universelle de ce qu’est l’école. Et chez, nous, en Corse, c’est un des sujets les plus importants.
Qu’est-il ressorti du débat de lundi dernier, avec l’ensemble des partenaires concernés ?
Tout le monde a été convié à cette réunion, la CTC, les syndicats, les conseils généraux, les représentants des maires, ce qui est important pour l’école élémentaire, les maires des grandes villes de Corse. Nous avons convoqué tous les institutionnels de l’école et mis en place une organisation, une manière de travailler et les directions retenues. L’objectif, c’est de donner une participation forte de la Corse pour le rapport national. C’est sans doute l’un des sujets où nous devrions être exemplaires par rapport à toutes les autres académies, en raison, justement, de notre singularité, plus forte. C’est aussi, derrière ça, ce qui pourrait être décentralisé encore plus. Notamment par la relation entre l’Etat et la CTC.
Quelles thématiques avez-vous retenu ?
Il y en plusieurs. Nous n’avons pas pris toutes les thématiques nationales car on ne va pas refaire ce qui s’est déjà fait ailleurs mais il y a des thématiques importantes, l’école élémentaire, le collège qui est, d’une certaine manière, le maillon le plus faible du système éducatif, l’idée du socle commun, la question du terroir, de la région, de la place des parents d’élèves, on va leur laisser l’initiative.
Êtes-vous confiant quant aux résultats de ces réunions ?
Si les gens ont, pour objectif, de faire progresser l’école, nous aurons de bons résultats en Corse, comme au niveau national. Si chacun arrive avec ses slogans et campe sur ses positions, il est certain que l’on n’avancera pas. C’est bien pour cela que l’on parle de refondation. Pour essayer d’éviter la sempiternelle collection des manifestes de chacun par rapport à ses idéologies.
La Corse n’a-t-elle pas une carte importante à jouer dans cette refondation ?
Elle a cette singularité très forte, c’est sans doute l’académie la plus petite, c’est là où il y a le moins d’écart entre la gouvernance qui est assumée et le terrain. Nous sommes au plus près des écoles, des collèges et de la population. Ce qui va venir de Corse sera une vraie réflexion très proche de la réalité du terrain. Je suis convaincue que la contribution de la Corse sera exemplaire et profitable à l’ensemble.
Hormis cette refondation, comment se présente la rentrée 2012 au sein de l’académie ?
Objectivement, il n’y a aucune raison pour que les choses ne se passent pas bien. Nos statistiques sont bonnes mais on ne prépare pas une rentrée uniquement sur des statistiques. Il y aura donc nécessairement des ajustements à faire.
Doit-on s’attendre à des fermetures d’écoles ? Le combat pour maintenir la scolarité en milieu rural se poursuit-il ?
L’école en milieu rural est une priorité. Mais il est vrai qu’il n’est pas toujours facile de défendre cette idée auprès du ministère. Cela fait partie de la singularité corse. Ceci étant, il y a des cas particuliers où l’on ne peut rien faire. En dessous d’un certain nombre, l’enseignement n’est pas bon. Il y a deux cas, un dans chaque département, où nous sommes dans cette configuration. Et ce n’est pas possible de maintenir l’école, non pas d’un point de vue comptable mais sur le plan pédagogique et au niveau de l’enseignement. Dans les lieux où nous avons, parfois, moins de cinq élèves, nous n’avons pas d’autre solution. Si, à dix minutes, il y a une école et que l’on peut regrouper, il faut le faire.
Quelles seront vos priorités pour l’année scolaire à venir ?
Les priorités restent l’école élémentaire et la proximité. La question de la ruralité occupe, comme chaque année, une place prépondérante. Jusqu’à présent, le souci majeur, au niveau national, c’était les banlieues. Les populations y sont importantes, et les problèmes d’intégration et de violence récurrents. Pour autant, le ministère ne lâche pas ses efforts. La question de la présence de l’école dans les villages est, aujourd’hui, reconnue par le ministre lui-même et j’en suis fier. Je parle en termes de progrès. Nous avons réussi à faire comprendre cela. C’est très important et nous avons obtenu, sans difficulté, quelques postes en plus. Sur l’enseignement élémentaire, nous avons, globalement, sur la Corse, plus de création de classes que de fermeture.
Pensez-vous, avec le changement de gouvernement, que la politique menée par l’Education Nationale soit modifiée ?
On note une volonté du ministre d’accentuer la priorité donnée à l’école. Par ailleurs, il a eu l’intelligence de reconnaître le travail qui avait été fait auparavant. Son état d’esprit et sa volonté de refonder l’école devraient aboutir quelque chose de positif. Il l’a, du reste, expliqué, d’une manière totalement juste aux trente recteurs de France. On est là pour appliquer la politique gouvernementale. Il ne saurait être question d’autre chose. Il nous a également expliqué que nous devions assurer la continuité de l’Etat, ce qui implique tout ce qui s’est fait avant.
Comment cette nouvelle politique pourrait-elle se traduire à l’échelle de l’Académie de Corse ?
Elle s’est déjà traduite par quelques postes supplémentaires. Au cours de l’année, il y aura, en Corse comme ailleurs, une injection de moyens supplémentaires. Ceci étant, il ne faut pas se faire d’illusions. Il y a un contexte et des contraintes qui sont celles de la nation.
L’université de Corse figure, également, parmi les satisfactions. Quelle analyse, faites-vous, de son essor ?
En quelques années, l’université de Corse, grâce, en partie, à son ancien président Antoine Aiello, a gagné la dignité d’une vraie université. C’est un succès et Paul Marie Romani, le nouveau président, est dans les mêmes dispositions. Elle a eu deux plans quadriennaux dans lesquelles d’énormes moyens lui ont été donnés, des moyens supérieurs à d’autres universités. Nous avons, ici aussi, une très grande originalité. En dehors de la recherche fondamentale, la mission, aujourd’hui, de la plupart des universités françaises est de pouvoir fournir, à la société et à l’économie, les cadres de qualité dont elle a besoin. En Corse, l’économie est composée majoritairement de petites entreprises voire même de très petites entreprises, le besoin en cadres de très bon niveau n’est donc pas évident. Il faut que l’université réponde, non seulement aux besoins de l’île, mais en plus qu’elle fasse évoluer la société corse. L’université est donc l’un des outils moteur du développement de la Corse. C’est une petite université en taille mais elle est très grande d’un point de vue intellectuel.
La langue corse fait toujours couler beaucoup d’encre. Quels sont les objectifs poursuivis par l’Académie ?
Je tiens, tout d’abord, à souligner, que le problème de la langue corse n’est pas lié à l’Education Nationale. Il faut faire en sorte que le corse trouve sa place dans la société. L’école, au sens large, doit accompagner cela. Le problème de la langue corse, c’est qu’elle doit être parlée et l’on ne peut pas réduire cela à l’enseignement en milieu scolaire. Si l’on fait les comptes, en moyens financiers, l’Etat donne 9 millions d’euros, c’est plus que pour l’histoire-géographie et un peu moins que pour les mathématiques. L’effort de l’Etat, est conséquent ! Du côté de l’Education Nationale, la volonté d’assoir la langue corse est bien réelle.
C’est un fait mais les chiffres ne traduisent, bien souvent,pas la réalité du terrain, notamment dans le premier degré. Entre les postes dits « fléchés » qui sont prioritaires et qui ne correspondent pas toujours à une réelle motivation d’enseigner le corse, les échanges de service qui ne sont pas toujours assurés, et, dans l’ensemble, le quota d’heures n’est pas respecté, une forme de laxisme ne s’est-elle pas installée ?
Il y a des améliorations à faire, c’est certain, au niveau de l’enseignement et de la rigueur. Nous devons imposer l’excellence dans l’enseignement de la langue corse. Malgré tout, et quelles que soient les imperfections, et c’est vrai qu’elles existent, l’apprentissage du corse est une raison pour lesquelles l’Académie fait partie des meilleures académies sur les apprentissages de la langue française. Loin d’entraver la langue française comme certains osent le prétendre, le corse est une langue romane, sans doute la plus proche du latin et cette pratique a obligé à faire réellement de la grammaire. Ce n’est pas en terme de rivalité que les choses doivent apparaitre, bien au contraire, cela se nourrit mutuellement. Aujourd’hui, même les plus sceptiques sur ce sujet, au ministère, ou à l’inspection générale, l’affirment et l’écrivent ! C’est une victoire intellectuelle. Maintenant, le vrai problème, c’est qu’à l’école et encore un peu au collège, l’apprentissage du corse est un vecteur de réussite. Le choix de continuer le corse au-delà de l’école élémentaire est même parfois la manière d’intégrer les classes d’élite. Les parents, corsophones ou non, vont dire oui au corse car la réussite scolaire y est sous-jacente. Mais, une fois au lycée, c’est la réussite sociale qui est visée. Et pour revenir à ce qui est dit précédemment, l’apprentissage de la langue corse est lié à la place qu’elle représente au sein de la société et à la manière dont les gens la vivent, à commencer par les corsophones. C’est un sujet complexe. La question « à quoi ça sert ? » va nécessairement être posée à un moment donné. Je pense, pour ma part, que ça peut servir et que ça doit servir. Mais il y encore beaucoup de chemin à parcourir pour persuader les gens, y compris la population corse.
Interview réalisée par Philippe Peraut
Photo T.Canazzi