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MASQUES ET BERGAMASQUES

mercredi 9 mars 2011, par Journal de la Corse

Masques

Semaine vénitienne de Carnaval. Ouverture des festivités par « Le vol de l’ange ». Il descend du ciel sur la place Saint Marc où il rejoindra son amoureuse. Aussitôt après, la cité des Doges se livre aux masques et aux bergamasques, aux intrigues et aux amours d’Arlequin, de Polichinelle et de Colombine, ainsi qu’aux danses populaires où les deux cercles de danseurs et danseuses se rejoignent en deux figures alternées. C’est le songe magnifique et bling bling d’une nuit d’hiver sous la lune d’argent et ses reflets sur la lagune et les canaux où les gondoliers portent leurs doux appels à tous les échos.

Paris a-t-il voulu devancer Venise ? C’est à croire puisqu’une mascarade a animé, une semaine avant, la vie parisienne. Voici qu’une trentaine de personnages masqués ont envahi la scène du Monde (la tribune du quotidien parisien seulement, restons modestes) Ce collectif anonyme a pris le titre de « Groupe de Marly ». Des diplomates, nous chuchote-t-on, et même de grosses pointures. Marly ? Nostalgie des fastes monarchiques et de ce lieu aimé par Marie-Antoinette et sa diplomatie secrète ? Temps de Vergennes, ambassadeur auprès du Sultan de Constantinople, mainteneur de l’alliance franco-turque et ministre des affaires étrangères de grand renom. Toujours est-il que le chant de ces gondoliers est un lamento. Ils regrettent l’ancien Sérail et leur Shéhérazade qui s’est tue. Autrement dit l’ancienne politique arabo-africaine de la France. Mais, pan ! Voici qu’un autre chant s’élève sur un canal tout proche. Encore des guitaristes et chanteurs masqués. Ceux-là ont choisi pour leur groupe, tout aussi anonyme et composé également de diplomates comme l’autre, l’enseigne du « groupe de Rostand ». Lequel ? Edmond peut-être ? Des cadets de Gascogne épée au vent et panache blanc au chapeau, servants du roi et de leur dame de cœur Roxane ? Nos gondoliers ont entonné un hymne « allegretto ». Le candide que nous sommes se gardera bien d’intervenir. Nous savons que l’art des diplomates est la ruse, et que leur héros est Ulysse. Il avait déclaré au Cyclope qu’il s’appelait « Personne » afin de se libérer. On veut bien. Mais enfin l’absence de signature rend l’acte nul. N’être personne dans le domaine du droit et du fonctionnement administratif c’est ne pas exister. Comment se plaindre de la dégradation de l’Etat et le dégrader plus encore par cette mascarade de hauts dignitaires de tous bords. Ont-ils vraiment le sens de l’Etat comme ils le prétendent ? Un Etat dont la haute administration se dissimule n’est qu’une coquille vide. Comment peuvent-ils prendre, oublieux du devoir de réserve de tout fonctionnaire, de telles initiatives contraires à la Constitution ? Le peuple souverain, ce ne sont pas eux qui le représentent. Ce sont les élus du peuple, les maires, les parlementaires, et le Chef de l’Etat. C’est ce dernier qui dirige la politique extérieure, nomme et accrédite les ambassadeurs et qui peut mettre fin à leurs fonctions. Il est le maître de l’action diplomatique. Alors ? Real politique des droits des Etats ou politique des Droits de l’Homme ? L’art diplomatique est fait de mouvements subtils et nuancés qui sont parfois réduits à néant par le mécanisme politique. Mais la diplomatie d’un pays démocratique ne peut admettre ce symbole du masque et cet art de la dissimulation, contraire à toute transparence. Combattre ainsi sans courage, visière baissée, c’est vouloir s’assurer la sauvegarde, pour attaquer en se soustrayant à la vue d’autrui. La voix de la France sortant d’un masque, serait-elle plus audible ? Cyrano de Bergerac s’en prend au visage de son adversaire, tout noir sous le masque et il questionne : « Je suis donc dans Venise ou dans Gênes ». Alors Venise métaphore de la France ? Cet hiver que c’est triste Venise.

Marc’Aureliu Pietrasanta

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