Les chantiers ne manquent pas. Pourtant, rien n’avance vraiment. La magie du verbe ne saurait couvrir longtemps l’insuffisant traitement des grandes priorités.
Depuis que la majorité de gauche a pris les commandes de la Collectivité territoriale, l’Assemblée de Corse et par extension l’institution territoriale sont redevenues des lieux de débat. C’est positif et même normal. S’ils ont vocation à délibérer à partir de rapports présentés par le Conseil exécutif, ainsi qu’à examiner, amender et voter le budget et les documents de planification et de programmation, les conseillers territoriaux ont aussi pour devoir de s’emparer des grandes problématiques de la société insulaire et, au besoin, de formuler des avis et des propositions relevant des domaines législatif ou réglementaire. Aussi, l’Assemblée de Corse est dans son rôle quand elle ouvre la discussion et suscite la création de commissions ou de groupes de travail portant sur la fiscalité, la citoyenneté corse, la langue corse ou les institutions. Pour sa part, le Conseil exécutif est habilité à élaborer et mettre en œuvre l’action de la Collectivité territoriale dans tous ses domaines de compétences. Par ailleurs, il ne lui est pas interdit d’apporter sa contribution au débat. On peut aussi considérer que les échanges qui ont lieu dans le cadre policé et démocratique de l’institution territoriale, ont pour effets bénéfiques de dédramatiser et d’apaiser, ainsi que d’aboutir à des décisions largement majoritaires ou consensuelles, et acceptées par tous. Si le retour à un débat d’idées aussi libre que riche est à porter au crédit de la majorité incarnée par Paul Giacobbi, on peut en revanche être plus critique concernant la gestion des grands dossiers. Depuis son arrivée aux responsabilités, la majorité territoriale révèle une fâcheuse tendance à donner le sentiment qu’il est urgent de ne rien décider. Voilà qui est surprenant de la part d’une majorité qui a dénoncé le manque d’efficacité et de travail des sortants. Voilà qui est inquiétant si l’on considère que la situation de la Corse ne cesse de se dégrader sur fond de contextes national et mondial plus que préoccupants.
Un contexte très difficile
L’état du monde n’est en rien rassurant. La crise économique ayant résulté de la crise financière est loin d’être terminée. On note des risques de rechute en Occident et d’essoufflement en Asie. De plus, le spectre de l’inflation menace d’empêcher toute reprise, en particulier en provoquant un renchérissement du crédit. Quant à la problématique de la dette, elle met des Etats en situation de choisir entre l’explosion sociale et la faillite. L’état de la France n’est guère plus reluisant. Le chômage repart à la hausse sur fond de crises morale et sécuritaire, de remise en cause du pacte républicain et de fracture sociale. Chez nous, cela ne va pas mieux. Le chômage est en hausse. La pauvreté affecte plus de 20 % de la population résidente. La spéculation immobilière prend de vitesse les tentatives de régulation et devient un fait culturel de par les gains financiers, temporaires mais conséquents, qu’elle apporte aux Corses qui vendent leurs terres et leurs maisons, aux collectivités locale, aux patrons du BTP et des services, à la grande distribution. Le tourisme en est crise. Les caisses des collectivités locales se vident au rythme de l’augmentation des impôts et taxes. La grande criminalité rançonne les entreprises, tue une femme à la sortie des magasins et exécute des hommes devant des nourrissons ou jusqu’aux portes du pouvoir territorial. Ce contexte devrait logiquement et éthiquement inciter la majorité territoriale à se consacrer aux grandes priorités. On pourrait même espérer que Paul Giacobbi soit poussé à prendre les rênes, tenir un langage de la vérité et proposer les mesures de salut territorial qu’imposent l’impérative nécessité et l’urgence. Certes, en intervenant ainsi, il risquerait l’impopularité. Mais n’est-ce pas à la capacité d’agir courageusement pour le mieux, envers et contre des intérêts particuliers et des opinions versatiles, que se mesurent la qualité et la grandeur d’une politique ?
Le spectre du clientélisme
Les chantiers d’une action courageuse ne manquent pas. Pourtant à l’image du plus révélateur d’entre eux, rien n’avance vraiment. Le train est en panne. Les promesses et les calendriers n’ont pas été tenus. La Collectivité territoriale ne sait plus à quelle gestion se vouer. Pour tenter de savoir quel cap sera tenu, des cheminots ont dernièrement décidé de se mettre en grève de la faim. Les heures de vérité qui conditionneront l’avenir des dessertes maritime et aérienne de service public approchent, sans que soit mise en place une stratégie d’explication des choix économiques et sociaux douloureux qu’il faudra opérer. Quant aux dossiers déjà ouverts et traités concernant le foncier, ils sont loin d’être entrés dans les domaines de l’opérationnel et de l’efficient. Cela va s’arranger et s’accélérer affirment certains élus qui soulignent aussi le poids du bilan négatif de la précédente majorité territoriale et une propension de la majorité actuelle à ne pas savoir communiquer. Admettons. Mais, comment ne pas s’inquiéter que ces mêmes élus disaient la même chose il y a quelques mois. Comment aussi ne pas s’alarmer que des premiers symptômes d’une maladie mortelle pour l’intérêt général : le clientélisme. Les hésitations quant à la localisation du siège de la Chambre régionale de commerce et d’industrie trahissent la tentation de satisfaire tout le monde à partir de solutions bâtardes. Seules deux prises de position relèvent de la véritable prise de responsabilités : celle des radicaux de gauche zuccarellistes qui en désignant Bastia souhaitent conforter l’image de leader économique de la région bastiaise ; celle de Corsica Libera qui, en retenant une localisation cortenaise, va dans le sens de refaire de la cité paoline, la capitale de la Corse. La récente velléité de relancer l’expérience de la cité du fer et du feu à Francardo (Prumetei) à travers la création d’une SEM (CTC / Intercommunalité) s’inscrit elle aussi dans une logique clientéliste à travers un recours au saupoudrage économique. La vocation de la Collectivité Territoriale n’est pas de gérer des activités économiques mais d’attirer des entrepreneurs et d’inciter des financiers à investir. « Accipe quam primum, brevis est occasio lucri… »
Pierre Corsi