La gauche territoriale a encore du temps pour bien faire. Cela étant, l’heure de vérité approche. Dans quelques mois, la parole ne suffira plus à convaincre les Corses que tout va bien ou pourrait aller mieux.
Le scrutin territorial de mars 2010 a représenté un rejet massif de la politique incarnée par Ange Santini et Camille de Rocca Serra. 72 % des votants l’ont condamnée. Durant la campagne, la gauche a dénoncé l’état désastreux des finances territoriales et brocardé la lenteur des réalisations de la mandature 2004 / 2010. Elle a aussi martelé qu’elle changerait de méthode et de politique. Or le changement tarde à venir. De plus, les divergences se précisent au sein de la gauche devenue majoritaire. Ce qui contraint le Conseil Exécutif à palabrer et tergiverser longuement avant de proposer. Aussi, il se dit de plus en plus fort que la gauche est à la peine, ce qui encourage les opposants à faire flèche de tout bois. Ces dernières semaines, après 15 mois de patience, les composantes nationalistes ont fait savoir que le temps de l’indulgence était passé. Evoquant une politique territoriale allant dans le mur, Gilles Simeoni et Jean-Christophe Angelini ont annoncé qu’ils allaient devenir des opposants plus affirmées. Lors d’une réunion de ses élus, cadres et militants à Corte, Femu a Corsica a emboîté le pas à Corsica Libera pour affirmer la volonté nationaliste d’être la force majeure d’une prise de pouvoir en 2104. Avant la reprise des sessions de l’Assemblée de Corse (prévue les 7 et 8 octobre prochains), la majorité territoriale est donc sous pression. Pour ne pas s’enliser, elle doit très vite passer au temps des réalisations et des réussites. Conscient de la nécessité de marquer des points, Paul Giacobbi n’est pas resté inerte. Ces derniers jours, le Président du Conseil exécutif a confié à Corse Matin qu’il entendait opérer une rentrée des plus toniques. En ce sens, il a assuré qu’il mènerait tambour battant trois dossiers qu’il juge emblématiques et marqués du sceau de l’urgence : la question foncière, la valorisation de la langue corse, le développement durable. Il a aussi souligné sa volonté de pousser le plus loin possible l’utilisation des pouvoirs spécifiques dévolus à la Collectivité Territoriale. Ce qui l’a conduit à rappeler que le Parlement devrait prochainement examiner un projet de loi concernant le PADDUC, découlant d’une proposition de l’Assemblée de Corse. Il a aussi affirmé que la majorité territoriale ferait tout pour que la Corse soit écoutée et entendue en matière d’application à l’île de la réforme des collectivités territoriales. Enfin, il a confié avoir signifié à la ministre compétente, son mécontentement que la Corse n’ait pas été consultée concernant la réduction des aides au photovoltaïque. Paul Giacobbi a aussi cherché à rassurer concernant la capacité du Conseil exécutif à faire fonctionner la Collectivité Territoriale. Il a d’abord indiqué que la Corse n’était plus sous la menace d’emprunts toxiques contractés par la précédente majorité. Il a confirmé que la Corse ne perdrait plus d’argent européen pour cause de dégagement d’office de subventions inemployées. Enfin, il a rappelé que la Collectivité Territoriale s’employait à faire en sorte que l’argent du PEI soit effectivement versé par l’Etat et employé à bon escient par la Corse.
Enfin du concret ?
Exposer toutes ces intentions ou évolutions favorables constitue un premier pas vers le bon sens. Mais il en faudra bien d’autres pour que le scepticisme et l’inquiétude se dissipent. Il faudra des réalisations rapidement perceptibles par le plus grand nombre. Ceci explique sans doute que Paul Giacobbi ait annoncé le vote prochain d’un schéma directeur routier pouvant être mis en œuvre rapidement et affichant un objectif raisonnable : consommer 5 à 600 millions d’euros sur dix ans. Cette nécessité de célérité et de concrétisation devrait aussi se traduire par une utilisation obligatoire de la langue corse dans tous les actes officiels et par des mesures spécifiques facilitant l’accession des résidents corses au logement. Mais cela ne suffira pas. Il est d’autres dossiers qui préoccupent les Corses et les incitent à s’interroger : le sort de la CCM et de la SNCM, la remise à niveau du transport ferroviaire et le renouvellement de la délégation de service publique en organisant le fonctionnement, la galopade du chômage sur fond de stagnation de l’activité touristique… Or les réponses restent à venir et il n’est pas certain qu’au sein de sa majorité Paul Giacobbi trouve les consensus indispensables à l’avancé des choses. Ce qui laisse augurer du « tangage » et des palabres. Cependant, la majorité est loin d’être aux abois. En effet, si ses principaux opposants - Femu a Corsica - n’ont pas intérêt à lui faciliter la tâche, il n’est pas non plus de bonne politique pour eux d’apparaître irresponsables, en paralysant l’institution territoriale et provoquant ainsi une crise politique. La Corse engluée dans les problèmes de toutes sortes n’a vraiment pas besoin de cela ! En réalité, les opposants ne sont pas encore en mesure de rendre impopulaires Paul Giacobbi et ses amis et a fortiori de les renverser. La gauche a encore du temps pour bien faire. Cela étant, l’heure de vérité approche. Dans quelques mois, serait-elle de Paul Giacobbi, la parole ne suffira plus à convaincre les Corses que tout va bien ou pourrait aller mieux.
Pierre Corsi