L’énigme Tatti
Pourquoi diable François Tatti a-t-il dévoilé son ambition ? Plusieurs hypothèses sont avancées. La bonne réponse reste à trouver…
Il est rare que les propos tenus sur le plateau de Cuntrastu créent la surprise ou le tumulte. Les invités préfèrent y commenter l’actualité ou expliquer leur action. Le 27 février dernier, en revendiquant le dessein de devenir maire de Bastia en 2014, François Tatti a pris au dépourvu les observateurs et les acteurs de la vie politique, et jeté un gros pavé dans la mare. Pourtant, si on y regarde de plus près, l’adjoint aux travaux de l’actuelle majorité municipale bastiaise n’a pas fait que lever un secret de Polichinelle. En effet, depuis le début des années 2000, tout accréditait son aspiration et son aptitude à briguer le fauteuil de maire qu’occupe aujourd’hui Emile Zuccarelli.
L’étoffe d’un bon gestionnaire
Après le scrutin municipal de mars 2001, afin d’être éligible au mandat d’adjoint au maire, François Tatti a renoncé à son poste de secrétaire général adjoint de la ville. Il a alors assumé l’importante délégation des travaux, faisant preuve de maîtrise des dossiers, de présence sur le terrain et de compétence dans le suivi des opérations. Or, si tout cela indiquait une capacité d’implication et d’être digne de la confiance accordée par Emile Zuccarelli, il transparaissait aussi le souhait de montrer une aptitude à administrer Bastia. Porté la tête du SYVADEC (Syndicat de valorisation des déchets ménagers de Corse) au milieu des années 2000, François Tatti a d’ailleurs confirmé avoir l’étoffe d’un bon gestionnaire. Il a affronté avec succès des contextes politiques difficiles voire conflictuels (scepticisme initial de nombreux maires, accusation de vouloir imposer l’incinération des déchets, menace de fermeture prématurée du centre d’enfouissement de Tallone…) Il a structuré le SYVADEC et l’a doté de perspectives pérennes. Il a fédéré des élus de toutes tendances politiques autour des projets. Il a obtenu un premier bilan positif et concret : entre 2008 (15 742 tonnes) et 2010 (33 573 tonnes), le SYVADEC a doublé son volume de valorisation de déchets. Enfin, depuis qu’il a accédé, en avril 2010, à la présidence du groupe des conseillers territoriaux issus de la liste PRG conduite par Emile Zuccarelli, François Tatti ne cesse de montrer sa connaissance des dossiers et d’occuper le terrain médiatique.
Disciple d’Emile
François Tatti ne s’en est pas tenu à apparaître impliqué et compétent. Au fil des ans, il a aussi montré son osmose idéologique et politique avec Emile Zuccarelli. Ses amis et ses adversaires politiques s’accordent d’ailleurs à voir en lui un « disciple d’Emile ». Ainsi, de 1999 à 2001, lors du processus de Matignon voulu et imposé par Lionel Jospin, il a été aux côtés du maire de Bastia pour combattre les revendications nationalistes, autonomistes ou corsistes. Il s’est alors durement opposé à Paul Giacobbi qui était alors un des leaders, sinon le leader, d’un courant dit « évolutionniste » qui souhaitait doter la Corse d’un cadre institutionnel spécifique pouvant comprendre un véritable pouvoir législatif. Puis, il a participé à la campagne électorale ayant abouti au succès du « Non » lors de la consultation populaire de juillet 2003 et a été, ainsi, un des acteurs du maintien des Conseils généraux. Depuis, il s’affiche en défenseur du cadre républicain et est très réservé quant à accentuer le caractère spécifique des institutions territoriales et la portée dérogatoire de textes réglementaires et législatifs applicables à la Corse. Ces dernières semaines, il a d’ailleurs provoqué l’irritation des nationalistes en demandant que le « volontarisme en matière linguistique » ne débouche pas sur « l’octroi de droits spécifiques aux corsophones » et la marginalisation de ceux « qui n’ont pas eu la chance ou l’opportunité d’apprendre le corse à la maison, à l’école ou dans la société ». Enfin, tout comme Emile Zuccarelli, il se déclare favorable à une municipalité bastiaise d’union de la gauche à dominante PRG, associant des personnalités modérées, le Parti Socialiste et le Parti Communiste.
Une logique politique
Fort de son étoffe de bon gestionnaire, idéalement positionné au plan politique et très proche d’Emile Zuccarelli pourquoi diable François Tatti a-t-il dévoilé son ambition ? Certains estiment qu’il craindrait qu’Emile Zuccarelli, s’il devait « raccrocher » en 2014, favorise l’accession de son fils Jean au mandat de maire. D’autres pensent qu’il a cédé aux conseils de proches qui l’ont incité à se déclarer afin qu’il prenne date et marque son territoire. D’autres encore imaginent, ou disent savoir, que tout serait concerté au sein du PRG bastiais et qu’il s’agirait du premier acte d’une stratégie d’envergure : celle-ci consisterait à faire accepter l’idée qu’un Zuccarelli ne soit pas maire en 2014 et à répartir, entre septembre 2011 et mars 2014, les candidatures aux mandats de sénateur, de député, de maire de Bastia et de président de la Communauté d’Agglomération, entre Emile Zuccarelli, Jean Zuccarelli et François Tatti. Pourquoi pas, surtout si l’on prend en compte les contraintes de non cumul de mandats. A moins que, très simplement, François Tatti ait été influencé par son rêve…
Pierre Corsi