La liste des agressions contre les « petits maires » ne cesse de s’allonger. Le mandat de maire rural devient difficile à exercer.
Ici, on mitraille sa voiture. Là, on dévaste ou incendie sa maison. Ailleurs, on plastique la mairie. Là bas, on trace des graffiti sur les murs du village. Partout, les lettres de menaces, les propos injurieux et les diatribes diffamatoires sont monnaie courante. Le « petit maire » est dans la ligne de mire. Les communiquées ou les rassemblements de soutien ne servent à rien. La liste des agressions ne cesse de s’allonger et celles-ci gagnent en gravité. Le mandat de maire rural devient difficile à exercer. Certes, la volonté de ne pas se laisser intimider l’emporte encore sur la peur de l’escalade. L’esprit de résistance triomphe encore de l’envie de renoncer. Le sens du devoir ainsi que le respect de la confiance accordée par l’électeur, couvrent encore la petite voix qui conseille de « tout laisser tomber ». Mais cela peut-il durer ? Rien n’est moins sûr. Il est des limites au courage et à l’abnégation. D’autant que le mandat municipal en milieu rural implique plus de déconvenues, de contraintes et de désintéressement que de reconnaissance sociale, de privilèges et de gratifications. Même s’il flatte l’égo, donne le sentiment d’être prophète chez soi et apporte quelques honneurs et indemnités, il n’est ni une sinécure, ni considéré comme tel. En effet, la plupart des « petits maires » donnent de leur temps et de leur énergie seuls et sans véritable contrepartie pour répondre à des aspirations personnelles aussi nobles que servir l’intérêt général ou porter un projet collectif. Alors, pourquoi sont-ils dans la tourmente ? Il existe des explications ponctuelles : administrés irascibles, jalousies, rivalités politiciennes… De plus, dans le passé, des maires ont déjà été confrontés à des comportements violents. Mais la multiplication des agressions suggère de rechercher d’autres explications. Peut-être sont-ils les victimes des effets conjugués d’une désacralisation, d’une nouvelle proximité et d’une décentralisation mal maîtrisée.
Le supplice des « petits maires »
Des décennies de dénigrement du personnel politique et d’affaires peu reluisantes, ont rendu négative, chez de nombreux administrés, l’image de l’élu. Le « petit maire » n’a pas échappé à cette évolution. « Monsieur le maire » est devenu « Le maire ». De nombreux administrés le considèrent intéressé ou corrompu. Ils jugent suspectes ou malhonnêtes toutes ses décisions. Ils ne voient en lui qu’un incompétent ayant soif d’honneur et de privilèges. Ils estiment avoir le monopole du bon droit et du bon sens. Désacralisé, le « petit maire » est aussi fragilisé par une nouvelle proximité. En effet, hier notable craint ou respecté, et intermédiaire incontournable entre le chef de clan et l’affidé, il est, le plus souvent aujourd’hui, considéré comme un élu mineur, incapable d’intervenir efficacement auprès des puissants en faveur de son village ou de ses partisans. Enfin, la décentralisation accentue l’inconfort de la situation du « petit maire » En l’espèce, l’exemple le plus criant réside dans l’obligation pour ce dernier de se frotter à la « bulle immobilière ». Chez nous et partout où existe une forte pression sur le foncier, les « petits maires » sont souvent accusés de favoriser la promotion immobilière, d’en profiter ou de l’entraver. Mais que peuvent-ils réellement ? Pas grand-chose ! Confrontés qu’ils sont à des promoteurs pressants et parfois menaçants, ainsi qu’à des propriétaires qui sont aussi des électeurs et qui aspirent à vendre au plus offrant, on imagine le supplice des « petits maires ».
Alexandra Sereni