Commémoration d’un 170e anniversaire. Celui de la publication, en 1841 des « Canti popolari toscani, corsi, illirici, greci ».L’auteur NiccolòTommaseo. Inconnu aujourd’hui du grand public. Erudit et homme politique italien, il viendra en Corse avant de publier le résultat de son enquête. Il participera en 1848 à la création de la République de Venise et se battra, pour la défendre, contre l’armée autrichienne. Son livre donnera dans notre île le branle à la préservation et à la valorisation de notre culture populaire orale, jusqu’à lui dédaignée par la plupart des écrivains. Au début du 19e siècle, en effet, le Corse sortit enfin d’une guerre défensive qui l’avait retenu sur son territoire pendant de nombreux siècles. La première œuvre poétique écrite et publiée par son auteur est la « Dionomachia » de Salvator Viale, petit poème héroi-comique en langue toscane. Une sérénade en parler corse y est mise par le poète dans la bouche d’un des personnages de l’ouvrage, un berger nommé « Scapino ». Salvator Viale, dans une note y explique que le texte de la chanson est écrit « en langue vernaculaire des montagnards corses. C’est- ajoute-t-il- un mixte de sicilien, de sarde et de génois, se rapprochant de l’un ou de l’autre selon les différentes provinces où on le parle. Dans le « Deçà des monts » précise Viale, les gens moins grossiers, usent d’un langage qui s’éloigne moins du toscan et du romain que tout autre dialecte d’Italie. » La « Dionomachia » fut éditée à Londres en 1817. Cette date est le premier témoignage d’un écrit dans l’idiome corse ayant été publié par un livre. Elle est aussi celle d’une première parution poétique en langue toscane d’un auteur corse. Jusqu’alors, en effet, la littérature corse ayant fait l’objet d’une publication s’était faite en prose toscane. Il en était ainsi pour les historiens et pour les polémistes politiques corses des siècles précédents. Salvator Viale n’écrivait-il pas, opérant la distinction entre dialecte et langue : « I Corsi non hanno, ne certo finora aver possano altra poesia o letteratura fuorchè l’Italiana ». ( Les Corses n’ont et certainement ne peuvent avoir jusqu’à présent poésie ou littérature autre que l’italienne) On mesure ici le discrédit qui frappait la culture populaire orale que l’on désignera bientôt par le mot « folklore ». Cet ostracisme était partagé par les lettrés corses. Dans la dernière guerre de cinquante ans de la Corse au 18e siècle, les pamphlets accompagnèrent les combats. Des auteurs génois déclarèrent qu’une ignorance crasse était inséparable de l’identité corse. Les littérateurs corses répliquèrent que cette carence était due à la tyrannie génoise qui étouffait dans l’île toute vie culturelle. Ils se prévalurent des vers de Dante qui disaient que lorsque les poètes et les hommes d’études sont peu nombreux c’est parce que même les bêtes sauvages abandonnent les lieux où elles ne trouvent ni nourriture ni abri. ( « sono i poeti e gli studiosi pochi… ») Pascal Paoli lui-même écrivait dans la langue de Dante. Tommaseo s’inscrivait dans le grand mouvement préromantique et romantique de reconnaissance et de réhabilitation des cultures populaires de toute l’Europe. Les grandes sagas orales, les bardes et aèdes, les contes, toute l’oralité des peuples furent en vogue. On publia en 1807 une reconstruction des poèmes d’un antique barde écossais nommé Ossian. La voie était ouverte pour les poèmes, les chants du deuil, de la vie et de l’amour, comme de la guerre. C’est ainsi que Lucien Bonaparte voulut donner son épopée à la Corse en langue française en publiant la Cyrneide. Tommaseo fut le premier à publier les chants populaires corses. Sa postérité n’a cessé de croître, les vitrines des disquaires et libraires suffisent à en témoigner. L’écrivain vénitien avait authentifié les lettres de noblesse de la poésie corse.
Marc’Aureliu Pietrasanta