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Les rapports compliqués (et chaleureux) entre la Corse et Sarkozy

jeudi 28 juin 2012, par Journal de la Corse

Une chose est sûre. Entre la Corse et Nicolas Sarkozy il y a de l’affect. L’ancien Président de la République a toujours aimé la Corse et celle-ci apparemment le lui rend bien. Plus d’un tiers des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle, le 22 avril 2012, une large majorité au second.

Par rapport à 2007, la Corse, l’Alsace et la Provence-Côte d’Azur a été l’une des trois provinces les plus idèles et les plus favorables. Cette affection réciproque vient de loin. La première épouse du président Sarkozy est corse. (1) Ses enfants restent attachés à la terre maternelle, par le souvenir et par le sentiment. Les premiers pas du futur maire de Neuilly se situèrent dans le sillage, sinon dans l’héritage du prestigieux Achille de Peretti, Président de l’Assemblée nationale, figure de la Résistance et du gaullisme libérateur. Aspect plus subtil à décoder, bien des traits de caractère et de comportement de Nicolas Sarkozy ne sont pas pour déplaire à la majorité des Corses. Ainsi de la décontraction à l’égard du « fric » loin de l’horreur sentencieuse que la richesse inspire à une fraction de la gauche et de la fascination morose qu’elle exerce sur une autre faction. Ainsi, encore, d’un certain goût pour les fréquentations insolites, saltimbanques inclus, et les camaraderies audacieuses qui permettent à l’amitié – tous les Corses le savent – de côtoyer « l’encanaillement ». Dans le même ordre d’idées, les Corses sont en général sensibles à la solidarité des équipes, celle qui résiste à la conjoncture et à l’adversité. C’est pourquoi ils savent gré à l’ancien Président d’avoir, tout au long de sa carrière publique, accordé sa confiance à des compatriotes, qu’il s’agisse de hauts policiers – Ange Mancini, Bernard Squarcini par exemple- ou d’inspecteurs de finances comme Pierre Mariani, son Directeur de Cabinet au Ministère des finances, ou Xavier Musca, Secrétaire général de l’Elysée. En d’autres termes, bien des côtés jugés « excessifs » à Paris du personnage Sarkozy n’ont pas choqué la communauté corse. Celle-ci n’a partagé ni la critique frénétique du « blingbling » - pour un Corse, le « Fouquet’s » longtemps tenu par des Corses, au demeurant, ne sent pas le souffre – ni la dénonciation d’une pseudo connivence avec Silvio Berlusconi, ni même la condamnation de l’aventure libyenne, ce qui n’était pas sans mérite au regard de cette vieille rumeur insulaire qui prêtait au colonel Kadhafi des ascendances corses. Mais au-delà de ces notations psychologiques qui ne sont pas secondaires, il y a lieu d’insister sur l’originalité du lien qui unit Nicolas Sarkozy à la Corse : c’est que ce parisien avait su saisir la nature de la trouble identité d’un « peuple » - notion contestable au plan du Droit mais recevable au niveau du sentiment – déchiré entre sa filiation italienne et son adhésion, à la foi passionnelle et raisonnée, à la France. On a noté, de fait, que jamais propos désinvolte ou condescendant ne fut tenu par l’ancien Chef de l’Etat à l’endroit des Corses, quelles que furent les outrances et parfois les excentricités dans lesquelles il leur arriva de tomber. S’agissant de leur destin collectif, Nicolas Sarkozy prit toujours soin, jusqu’à tout récemment, d’affirmer que la décision finale dépendait des Corses eux-mêmes. En retour, ceux-ci acceptèrent, de sa part, les états d’âme et même les contradictions. Ils ne jugèrent pas contradictoire, que l’homme qui supervisa personnellement l’arrestation d’Yvan Colonna puisse être, aussi, le ministre envisageant, à l’occasion d’un référendum fameux - qui stoppa pour longtemps toute dérive institutionnelle - un statut spécifique pour la Corse. Défense intransigeante de l’unité de la République, d’un côté, prise en compte d’une forte identité provinciale, de l’autre. C’est sans doute là toute l’ambigüité de la destinée de la Corse, que Nicolas Sarkozy, sur un vieux fond gaulliste mâtiné de radicalisme, s’est efforcé de respecter. La Corse lui en a été reconnaissante semble-t-il. Comme si le Corse moyen, si l’on ose employer cette expression, avait reconnu à l’ancien ministre de l’Intérieur devenu Président de la République, le mérite d’avoir compris son ambivalence. C’est sans doute cette gratitude que traduit le score – près de 56% des voix – du 2e tour de l’élection présidentielle, et qui va au-delà de la simple faveur électorale. A moins que ce dernier hommage du corps électoral en ce mois de mai 2012, au terme d’une longue période d’anti-sarkozysme paroxystique, n’ait été que l’expression d’un réflexe atavique : « sur l‘arbre abattu, les haches pleuvent » dit un dicton local. (2). Les Corses ont peut-être voulu signifier qu’ils ne mangeaient pas de ce pain là.

Jean Riolacci

Ancien Préfet de Corse

Ancien Conseiller d’Etat

(1) Marie-Dominique Culioli, de Vico. (2) « A l’arburu cadutu accetta ! accetta ! »

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