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Le temps des bouffons

jeudi 13 septembre 2012, par Journal de la Corse

Que faisons-nous vraiment pour que des besoins élémentaires, prioritaires et humanitaires pouvant influer fortement sur notre vie quotidienne, soient pris en compte ?

Durant tout l’été, la chaleur a accablé la plupart des services de l’hôpital de Bastia. Les patients n’ont été soulagés que par la mise à disposition de ventilateurs brassant de l’air chaud. Les plus fragiles ont bénéficié de la distribution d’eau fraîche et de vaporisateurs. Les personnels ont été épuisés par des températures dépassant fréquemment 30 degrés. La direction de l’établissement a une fois de plus déploré le manque d’argent interdisant d’investir dans une isolation et une climatisation globales. Misère, misère… A Ajaccio, il aura fallu des années et des années avant que l’apport de 4 millions d’euros permette la mise en chantier de la rénovation du service des urgences de l’hôpital de la Miséricorde. C’est toutefois chose faite depuis quelques jours et mérite d’être loué. L’été prochain, les 650 m² existants du service, atteints d’une absolue obsolescence et d’une scandaleuse vétusté, auront laissé place à 1.300 m² de locaux accueillants et fonctionnels. Il était temps. Mais pour disposer d’un nouvel hôpital, il faudra attendre 2020… A Nice, « La Maison du bonheur » assume annuellement plus de 3.000 nuitées. Cette résidence associative accueille des malades relevant de soins ambulatoires ainsi que leurs accompagnants qui ne disposent pas des moyens financiers de descendre à l’hôtel. Ils peuvent ainsi bénéficier d’un hébergement chaleureux et confortable moyennant une participation modique. Beaucoup viennent de Corse. La place venant à manquer, un projet d’extension de la structure a été élaboré. Mais l’argent manque encore et les institutions insulaires n’ont que très peu donné…

Contre vous et moi

Tout cela me révolte. Bien sût, je suis d’abord très en colère contre les décideurs. Mais, très vite, mon ire se tourne contre la société, c’est-à-dire vous et moi. Que faisons-nous vraiment pour que des besoins élémentaires, prioritaires et humanitaires pouvant un jour influer fortement sur notre vie quotidienne ou celle d’un proche, soient pris en compte ? La plupart du temps, nous fermons les yeux sur ces problèmes qui « n’arrivent qu’aux autres », ou en restons à des paroles compassionnelles. Pour avoir bonne conscience, il advient que nous donnions quelques dizaines d’euros. Il arrive aussi que nous accordions un peu de notre temps à une association qui œuvre pour que l’on vive un peu moins mal dans notre ville, notre pays ou notre monde. En réalité, quand tout va bien pour notre personne et nos proches, nous ne faisons pas grand-chose pour que des besoins vitaux deviennent des causes sacrées et donnent lieu à de grandes mobilisations. En revanche, nous accordons notre plus grande attention, et même soutenons avec ardeur sinon passion, des combats qui, à la réflexion et malgré tout le respect qu’ils méritent, ne sont en rien essentiels. Ainsi, ces derniers temps, toute l’énergie revendicative, altruiste et généreuse de la Corse semble aller au monde du football. Chaque jour que Dieu fait, un particulier, une association, une manifestation ou un média relaie le « petit ou gros souci » rencontré par un club et s’érige en défenseur acharné de ses intérêts. Vite un stade, vite une subvention, vite une pelouse, vite un plan de circulation, vite une protestation indignée contre un corps arbitral ou des fédérations jugés trop sévères à l’encontre des clubs insulaires ! L’hôpital, ses patients et ses personnels attendront. Nos vies individuelle et collective semblent ne plus tenir qu’au fil d’un maillot bleu, rouge ou noir. Au fond, ce n’est ni aberrant, ni condamnable, ni pitoyable, c’est tout simplement grotesque. Les jeux du cirque font de nous des bouffons. Et de futures victimes…

Alexandra Sereni

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