Les assassinats à répétition qui endeuillent la région du Fium’Orbu après ceux qui ont été perpétrés dans le Sartenais puis l’Ajaccien, démontrent une dégradation de la situation en Corse. Plus exceptionnel, l’horrible tuerie de Norvège, démontre que le mal traduit par ces violences, loin d’être étranger aux sociétés qui le subissent est une émanation de leur propre fonctionnement. La violence corse est corse et aucune répression ne parviendra à la refréner si les Corses ne décident pas eux-mêmes d’y mettre fin.
De la Norvège à la Corse
A priori rien ne semble relier l’effroyable tuerie norvégienne aux séries d’assassinats qui meurtrissent notre société sinon un point. Dans le premier cas, c’est un Norvégien qui revendiquait son identité de norvégien qui a froidement tué des compatriotes. Quant à nous, voilà des millénaires que nous nous acharnons dans l’art de trucider d’autres Corses. L’historien Antoine Marie Graziani, vient de publier aux éditions Piazzola, un ouvrage fort édifiant en la matière et que tout Corse devrait dévorer et digérer. Il traite de la violence insulaire du XVIe au XVIIIe siècle et de la répression génoise qui tente de juguler ces incessants flots de sang. Antoine Marie Graziani, par des exemples précis et circonstanciés décrit une société en perpétuelle surtension, dans laquelle l’énergie débordante faute de se traduire par des actes constructifs finit par se tourner contre elle-même. Dès lors, le moindre incident devient un sujet de conflit. Ce n’est pas un hasard si les siècles décrits par l’historien sont particulièrement criminogènes. L’introduction en Corse des armes à feu favorise le crime à distance. Et Dieu sait si les Corses s’y entendent pour apprivoiser les nouvelles techniques de mort. La Scandinavie, au contraire, a été depuis ces mêmes siècles une terre de compromis sous l’influence hautement pacifiante du luthéranisme. Et pourtant, il y a eu cette tuerie qui démontre des failles importantes dans le consensus national.
Deux manières de répondre au mal
Il était frappant de constater que l’annonce du massacre a été accueillie par les Norvégiens dans une tristesse immense sans que jamais (officiellement du moins) prononcé des paroles de vengeance. Les Norvégiens interrogés par les télévisions insistaient sur la nécessité d’une réflexion et d’une réponse d’amour à cet acte de haine. Pourquoi et comment un citoyen norvégien a pu commettre un pareil acte ? Est-ce le geste d’un fou ou le signe d’un mal plus profond ? Dans la presse norvégienne, les commentateurs insistent sur un fait important : le mal vient de la société norvégienne elle-même et non de l’extérieur. Il ne peut donc être guéri que de l’intérieur. En Corse nous avons souvent l’attitude contraire. Il est frappant de noter que dans un réflexe pavlovien les nationalistes ont accusé l’état d’être responsable de l’assassinat de Paoli avant d’avoir désigné « un groupe mafieux » entendons par là quelque chose qui nous est étranger. Lors des discussions sur la violence, il n’a jamais été recherché dans nos attitudes les racines du mal. Plus en arrière lorsque le bandit Spada (qui était né et avait grandi en Corse) fut arrêté, on mit en avant les racines sardes de sa famille.
Se connaître pour mieux guérir
Il serait évidemment absurde que le seul fait de reconnaître que le mal est nôtre suffirait à nous guérir du mal. Non, la réponse serait plutôt dans une difficile reconnaissance du bien commun souvent contradictoire avec le bien particulier. Il existe des mesures certes médiocres qui sont nécessaires car elles profitent à tous quand ce qui nous profite à nous seuls peut être négatif pour l’ensemble des Corses. Si nous ne parvenons pas à nous convaincre de cette banalité appliquée au foncier, à la répartition des richesses, alors la violence deviendra hélas un moyen banal de régler les conflits qui s’annoncent nombreux dans les années à venir. La disparition du nationalisme violent est aussi la fin d’une forme de canalisation des violences. Or nous devons constater qu’en Corse pour un nombre heureusement minoritaire d’individus la vie humaine n’a pas plus d’importance qu’une cigarette. La répression s’avère donc nécessaire mais aussi l’éducation. Et celle-ci doit commencer dès la maternelle avec une idée basique : il ne faut pas tuer son prochain. Peut être devrions nous nous inspirer un peu de la Scandinavie pas seulement pour le statut particulier de ses îles mais aussi pour sa façon de gérer l’existence commune de ses citoyens. On devient mature en assumant ses maux comme ses réussites.
GXC