Mai 1968. Proclamation tonitruante dans la rue de jeunes aspirations à un changement de société. Seul rappel, actuel, le retour sur la scène électorale française, d’une figure représentative de ces lointains instants.
Un Cohn-Bendit assagi, candidat de l’écologie politique, élu du peuple français, après avoir remisé aux accessoires poussiéreux son ancien slogan libertaire « élections pièges à cons ». Mai 68 aussi, obsèques nationales d’un personnage, non moins emblématique d’une génération aujourd’hui disparue. On enterrait Francis Carco et avec lui les « années folles » de l’avant guerre, tellement oubliées. A ce point que nul, même en Corse, n’a évoqué le cinquantième anniversaire de la mort de ce Corse de l’extérieur, né à Nouméa, de son vrai nom Carcopino-Tusoli. Il descendait des Tusoli, ces bergers de Sarrola qui aidèrent leur cousin Napoléon à échapper, en 1793, aux sbires de Pozzo di Borgo, lancés à sa poursuite. Episode dramatique magnifié par le cinéaste Abel Gance, où l’on voit Bonaparte à la barre d’une barque portant sa famille entre le ciel et l’eau d’une épouvantable tempête. Un aigle vient alors s’abattre sur la hampe du drapeau qui flotte en haut du grand mât. Francis Carco et les années folles ! C’était jadis. Romancier, Grand Prix de l’Académie Française, membre influent de l’Académie Goncourt, écrivain célèbre il est connu comme l’auteur, entre autres titres, de « Jésus la Caille ». Il avait aussi publié « Prison de femmes » un grand reportage dans lequel il dénonçait les conditions de détention des prisonnières. Ses détracteurs le critiquaient sans bienveillance. Ainsi Léautaud l’accusait-il d’être un auteur d’ « Histoires de boites, de pédérastes et de police sans aucun intérêt » Léautaud était un atrabilaire qui n’épargnait personne. « Ami des filles », Carco l’était aussi de Mac Orlan, de Roland Dorgelès, de Colette comme » Scarface des peintres, de Picasso, de Suzanne Valadon, d’Utrillo, de Modigliani. De tous il a été le biographe ou l’apologiste. Ses souvenirs évoquent la vie de bohème de Montmartre à cette époque, au moment où la butte était avec sa place, ses ruelles, ses marlous et ses gigolettes, l’attraction d’une vie parisienne nocturne dont il fut un des fêtards attitrés. Il demeurera connu par ses livres sur les peintres et ses romans sur les voyous. Description d’un monde qui fascine encore les bourgeois et un public populaire toujours enclins à un certain anarchisme spectaculaire. Il n’est que de voir le succès d’un film sur Mesrine tiré d’une biographie. Mais n’est pas Howard Howks qui veut, capable de faire du livre d’Armitage Trail un chef d’œuvre cinématographique, « Scarface » métaphore des Etats-Unis, et d’élever son personnage au rang mythique des Borgia et de leurs passions sulfureuses. Francis Carco peut rester comme un pionnier de cette littérature de « l’underground » et des ses anars bobos « parisiens de tradition libertaire soixante huitarde ».
Marc Aureliu Pietrasanta