La Corse vit au rythme de la double justice d’exception : antiterrorisme et JIRS. Lors du procès d’Yvan Colonna ce dernier a rappelé à l’un des deux procureurs, Annie Grenier, ses anciennes accointances avec le ministre de l’intérieur Pasqua, des accointances qui traduisent le côté trouble de la justice antiterroriste.
De la cave au grenier
Lors du troisième jour du procès d’Yvan Colonna alors que l’un des avocats de la partie civile, accusait ce dernier d’avoir été responsable du secteur Sagone Cargese et prenait à témoin le livre de François Santoni et Jean-Michel Rossi « Pour soldes de tous comptes », l’accusé renvoyait la balle à l’un des deux accusateurs publics. « Vous avez également été citée par François Santoni dans son livre. Si ce qu’il dit sur moi est vrai alors ça l’est aussi pour vous. » Selon les journalistes, Annie Grenier a alors marqué le coup. C’est qu’Annie Grenier est une vieille baroudeuse de l’antiterrorisme et connaît bien l’entourage de Charles Pasqua. En effet François Santoni cite Annie Grenier. Elle était présente lors des négociations occultes entre les dirigeants du FLNC Canal Historique et le ministre de l’intérieur afin de faire libérer les militants capturés par les gendarmes lors d’une tentative de plasticage de Sperone : « Je rencontre Charles Pasqua pour la dernière fois entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1995. C’est d’ailleurs la seule fois où le ministre prend l’initiative d’un rendez-vous. À la demande de Leandri, je me rends donc à Paris, au ministère. Pasqua sait que dans quelques jours il ne sera plus ministre. Nous sommes là, installés dans son bureau qui donne sur le jardin. Il fait beau, il me propose de prendre le café sur la pelouse. Madame le procureur Annie Grenier, conseiller pour les affaires de justice au ministère de l’intérieur, apporte les tasses et fait le service, sans se douter que, quelques mois plus tard, elle va requérir contre moi devant la chambre d’accusation ». Le nom d’Annie Grenier apparaît dans la presse alors qu’elle est encore juge d’instruction dans l’affaire du pasteur Doucé, cet homme, soupçonné de pédophilie et qui a disparu dans des circonstances mystérieuses dominées par l’omni présence de policiers de Renseignement généraux. Dans Libération, Patricia Tourancheau écrit : « Le dossier Doucé a sommeillé plusieurs mois dans le cabinet de la juge d’instruction Annie Grenier, avant qu’elle ne devienne conseillère juridique de Charles Pasqua ». C’est elle qui introduira à l’automne 1993, le commissaire Roger Marion, forte de l’amitié que lui accorde Irène Stoller, substitut de la 14e section (l’antiterrorisme) et la juge Laurence Le Vert, également spécialisée dans l’antiterrorisme.
Arrangements très particuliers
C’est ce trio qui travaillera à « arranger » l’affaire de Sperone. Le 27 mars 1994, un commando avait ouvert « un feu nourri » sur les policiers du Raid et du SRPJ d’Ajaccio, avant de se rendre. Soixante bouteilles de gaz butane, cinquante kilos d’explosifs, dix fusils d’assaut et dix armes de poing avaient été saisis dans leurs voitures. Quatorze personnes avaient été écrouées pour, notamment, « tentative de destruction de biens immobiliers en bande organisée, tentatives d’homicides volontaires, et reconstitution de ligue dissoute ». Au cours d’une conférence de presse clandestine, le 14 novembre 1994, le FLNC-Canal historique avait annoncé une trêve en échange d’un geste en faveur de ses prisonniers « d’ici à la fin de l’année », trêve inspirée par Daniel Leandri, conseiller de Charles Pasqua. Quelques semaines plus tard, la juge Le Vert, qui se montrait particulièrement répressive envers les Bretons et les Basques, avait commencé à remettre des membres du commando en liberté. Le commissaire Marion, jamais le dernier pour envoyer le coup de pied de l’âne à ses collègues et la juge Le Vert n’avaient eu de cesse de taxer de « bâclée » la procédure des commissaires Mireille Ballestrazzi, du SRPJ d’Ajaccio, et Ange Mancini, à l’époque sous-directeur des affaires criminelles à Paris qui l’avait alors affublé du petit de nom de « coucou, ‘l’oiseau qui fait ses œufs dans le nid des autres ». La procureur Grenier n’est donc pas en territoire étranger puisqu’elle va retrouver à la barre des témoins son « ami » Marion et une Corse qu’elle a connue de différentes manières, incarnant à merveille la formidable ambiguïté des juridictions d’exception où le judiciaire se marie si bien avec la raison d’état.
Gabriel Xavier Culioli