C’est l’une des antiennes du nationalisme modéré : il faut rompre avec le clanisme et le clientélisme. Cela fait maintenant quarante ans c’est-à-dire au-delà de l’espace d’une génération que les mêmes slogans sont lancées de manière incantatoire sans que l’on sache vraiment si leurs auteurs y croient réellement eux aussi. Car un fantôme hante l’esprit de tout Corse : celui du piston, de l’aide abusive condamnable quand elle s’applique aux autres, espérée et vénérée quand ce sont les siens qui en bénéficient.
Le rêve et la réalité
Le discours politique a cela de faux qu’il met en perspective deux dimensions irréconciliables de l’être humain : le rêve et la réalité. J’ai fait partie de cette génération qui a cru aux lendemains qui chantent, à plus de justice, au soleil rouge. Hélas ! Cette générosité n’était partagée que par ceux qui n’avaient pas encore accès à la relative richesse des petits possédants. Les ouvriers, dans la réalité concrète, espéraient surtout que leurs enfants pourraient eux aussi connaître le bonheur d’une certaine aisance. En Corse, il est de bon ton de décrier les clans et de dénoncer le clientélisme. Et pourtant, lorsque j’observe le fonctionnement des nationalistes j’y retrouve le même fonctionnement que les partis traditionnels. On préfère aider les amis que les autres. On aime donner un coup de pouce à ses enfants quand bien même on se rend compte qu’ils ne sont pas franchement à la hauteur. Et puis allez, ces travers ne sont pas spécifiquement corses. On les trouve de manière égale dans le monde entier. S’il est vrai que la latinité a exacerbé une telle attitude, tous les partis politiques attire leur clientèle à coups de prébendes et de promesses plus ou moins bien tenues. La crise n’a fait que renforcer le clientélisme. Chaque famille espère que son enfant tirera la bonne carte dans une course où les dés sont pipés. Les plus fortunés partent avec des atouts supplémentaires. Le clanisme est en fait l’arme des plus démunis.
Une voix un homme
Qui peut croire aujourd’hui que la compétence et le savoir sont les outils de la promotion sociale ? Il est loin l’époque où l’époque ouvrait les portes des emplois aux plus méritants si tant est que cette légende corresponde à la réalité. Toujours est-il que les dernières statistiques dénotent une baisse du nombre de fils d’ouvriers dans les établissements de l’enseignement supérieur. L’ascenseur social est en panne. Les plus fortunés peuvent compter sur l’argent de leurs parents mais surtout sur de formidables réseaux créés par la nouvelle aristocratie française composée de nantis de droite comme de gauche. Avons-nous jamais entendu parler de chômage parmi les enfants des bonnes familles ? À l’inverse les cités de banlieue annoncent 40% de chômage parmi les jeunes. Dans de telles conditions comment pourrait-on condamner le clanisme comme on le faisait durant le plein-emploi. Le problème est qu’en Corse on ne trouve guère de malheureux dans les directions des partis traditionnels ou nationalistes. Ceux qui admonestent les leçons aux plus démunis ne sont pas de leur monde. Être élu aujourd’hui en Corse c’est déjà échapper au seuil de pauvreté. Quand on sait que la plupart des élus cumulent leurs indemnités électives avec un autre emploi, voilà nos politiques propulsés dans le haut du panier. Amusons-nous simplement à étudier le patrimoine des uns et des autres. Il n’y en a guère qui peuvent s’aligner sur la moyenne des retraites en Corse à savoir 840 euros par mois. Or la démocratie a offert aux plus malheureux le moyen de se faire entendre : l’échange de leurs voix (la nourriture des élus) contre des avantages. Alors oui, de telles pratiques portent en elles de l’immobilisme et du conservatisme. Mais qu’offre-t-on d’autres à ces personnes qui, le 15 de chaque mois, se demandent comment elles vont nourrir leurs enfants ?
Le discours contre le progrès
Il vient un moment où on finit par se lasser des grandes formules. Si les nationalistes veulent réussir – je ne parle pas de crédibilité mais d’efficacité – ils vont devoir démontrer leur savoir-faire, émettre des propositions qui ne renvoient pas les bénéfices du changement au lendemain du grand soir. Car, s’ils n’agissent pas ainsi, ils vont se trouver en face du très remarquable Paul Giacobbi qui a pour lui l’intelligence, l’habileté mais aussi l’attraction du clan. Toute l’énergie fournie par le nationalisme se verra aspirer par cette force d’attraction qu’est le clan tout simplement parce que l’idée de protection que recouvre ce concept rassure les Corses d’origine comme d’adoption et leur fait croire qu’ils peuvent encore vivre comme avant.
GXC