La fin de la toute-puissance de la famille Rocca-Serra est consommée. Le temps des héritiers et des inamovibles s’achève. Une ère nouvelle de la vie politique corse vient de s’ouvrir.
Cela représente un cataclysme politique dont ont rêvé durant près de quarante ans les nationalistes. Camille de Rocca Serra, ancien président de l’Assemblée de Corse, ancien maire de Porto-Vecchio, député UMP et ami de Nicolas Sarkozy, a perdu la bataille. Le canton de Porto-Vecchio a été conquis avec panache par le jeune leader nationaliste Jean-Christophe Angelini. Totalisant près de 54 % des suffrages, ce dernier s’est imposé dans un scrutin uninominal majoritaire à deux tours considéré comme étant difficilement négociable et gagnable par les nationalistes. De plus, il l’a emporté à l’issue d’un scrutin très disputé (76 % de participation) et en étant en tête dans la plupart des communes. Ce succès qui met fin à la domination d’une des grandes familles de la politique corse, annonce une ère nouvelle. Le temps des héritiers et des inamovibles s’achève. Le mythe de l’invincibilité des leaders politiques traditionnels n’est plus. Il y a fort à parier que les nationalistes et d’autres s’engouffreront dans la brèche ainsi ouvertes. Le meeting de clôture du vainqueur a d’ailleurs donné à voir une vague montante de jeunes responsables politiques visiblement enclins à imiter la démarche conquérante de Jean-Christophe Angelini, à transformer le paysage politique insulaire et à appliquer de nouvelles gestions des collectivités locales. Ils sont d’autant plus disposés à agir ainsi que le futur s’avère favorable. Gilles Simeoni qui a le vent en poupe à Bastia, peut observer qu’au sein de la municipalité en place, des concurrences et même des rivalités affectent la bonne marche des choses. Le trio socialiste qui était présent à Porto-Vecchio (Jean-Charles Orsucci, Emmanuelle de Gentili, Jean-Louis Luciani), dispose de mandats importants et peut espérer trouver, dans la campagne du prochain scrutin présidentiel puis lors des élections législatives, matière à se montrer offensif et à renforcer son poids politique. Il n’est pas non plus interdit de penser que ces acteurs politiques qui se sont retrouvés un soir pour aider à faire chuter une dynastie, pourraient un jour se découvrir des intérêts communs et unir plus durablement leurs forces, d’autant que leurs visions des grands dossiers insulaires sont souvent similaires.
Majorités départementales très différentes
L’assassinat de Dominique Domarchi a relégué au second plan les résultats et les enseignements du premier tour des élections cantonales. Pourtant, ils révélaient déjà des tendances fortes qui ont d’ailleurs été confirmées. En Haute-Corse, la majorité départementale paraissait en mesure de se renforcer car les candidats s’en réclamant avaient déjà remporté la victoire, ou étaient en situation de le faire au second tour. Ainsi, Hyacinthe Mattei (L’Ile-Rousse), Pierre Mancini (Belgodère) Jacques Costa (Castifao-Morosaglia), Pierre Ghionga (Corte), François Orlandi (Capo Bianco), Pierre-Louis Nicolaï (Campoloro-Moriani), Jean-Jacques Vendasi (Bastia III) et Michel Mezzadri (Venaco) avaient été réélus. Alors qu’en battant un sortant de droite dans le canton de l’Alto di Casaconi, Jean-Marie Vecchioni avait apporté un siège supplémentaire au groupe majoritaire. Le second tour n’a en rien démenti le premier. Ange-Pierre Vivoni qui se présentait dans le canton de Sagro di Santa Giulia avec le soutien du sortant Jean Motroni, a été élu. Dans le canton de Prunelli di Fium’Orbu, la défaite du sortant François Tiberi, battu par Pierre Siméon de Buochberg, n’enlèvera rien à la toute puissance de Joseph Castelli. Il en est de même si l’on considère les trois autres résultats du second tour. En effet, les candidats de droite Jean-Louis Milani (Bastia 1), Jean-Baptiste Castellani (Niolo / Omessa) et Claudy Olmeta (Nebbio) ont été réélus. Ce qui n’a rien enlevé à une majorité départementale. Celle-ci devrait donc pouvoir compter 22 conseillers généraux sur 30. En revanche, au sein du Conseil général de Corse-du-Sud, la majorité du président Jean-Jacques Panunzi apparaît fragilisée et même friable. Elle a en effet subi la perte de trois sièges. A Bonifacio, Ati Lantieri (Divers droite) ne s’étant pas représenté, Claude Degott-Serafino (Divers gauche) s’est imposée. A Ajaccio III, où le sortant Divers droite Pierre Santoni avait été éliminé dès le premier tour, les dissensions à droite ont permis au candidat de gauche François Casasoprana de s’imposer. Enfin, on l’a déjà mentionné plus haut, la droite a perdu le canton de Porto-Vecchio. Aussi, au sein de l’institution départementale, elle ne pourra compter que sur une faible majorité (12 conseillers généraux sur 22). Toutefois, à Ajaccio, cette famille politique peut se targuer de trois belles satisfactions. A Ajaccio 1 et Ajaccio 4, les succès de Laurent Marcangeli et Stéphane Vannucci annoncent l’avènement d’une génération de terrain, mordante et ambitieuse, à même de partir à la reconquête de la Maison Carrée. A Ajaccio 5, malgré les efforts de Simon Renucci pour l’en déloger, Pierre Cau a conservé son siège, gagné il y a six ans au détriment de la gauche, et ainsi gardé à son camp un des secteurs les plus populaires de la cité impériale. Rien ne meurt, tout renaît…
Pierre Corsi