Laurent Croce a renoncé au premier secrétariat de la fédération de la Haute-Corse du Parti socialiste. Un chapitre de l’histoire politique insulaire s’est ainsi achevé.
Il a été la figure marquante du Parti socialiste en Corse. Premier secrétaire indéboulonnable de la fédération de la Haute-Corse durant plus de 30 ans, mais ayant également été adjoint au maire de Bastia, président du District de Bastia et conseiller territorial, il a été de toutes les batailles. Son positionnement très corsiste, ses postures iconoclastes à l’encontre de la toute-puissance du PRG et ses refus de se plier aux us et coutumes de la rue de Solferino, aux injonctions d’un préfet et, à l’occasion, à des diktats de Matignon, lui ont valu une grande notoriété et de nombreux déboires, mais aussi des sympathies dans toutes les familles politiques, aussi bien chez les puissants que chez les sans-grade. Son humanisme et son humilité qui le portaient à marquer de la considération et de l’attention à toute personne qui le sollicitait, n’ont pas toujours été payés de retour, en particulier électoralement, mais il ne manifestait jamais de ressentiment ou d’amertume. Ce qui n’excluait pas quelques ruades vengeresses. N’ayant plus aucun mandat électoral depuis 2004, il ne s’en plaignait pas et gardait toutefois une influence le mettant en mesure de peser sur la vie politique. Ainsi, il a beaucoup œuvré à la réussite des premiers pas de sa fille Emmanuelle de Gentili (photo) au sein du courant de Laurent Fabius, dont il a toujours été un allié indéfectible, et dans les coulisses de Solferino. Il a aussi été l’artisan de l’entrée de celle-ci au sein de l’équipe municipale bastiaise en mars 2008 et de l’alliance gagnante du Parti socialiste avec Paul Giacobbi en 2010 à l’occasion des élections territoriales. Depuis le 15 novembre, celui qui aime se faire appeler « U cignale di a Castagniccia », a passé la main. Ayant créé toutes les conditions favorables à la survenance de cette issue, il a renoncé au premier secrétariat de la fédération de la Haute-Corse du Parti socialiste et eu la satisfaction de voir sa fille, l’y remplacer. Un chapitre de l’histoire politique insulaire s’est ainsi achevé.
Rapports virils avec les radicaux de gauche
Cette histoire compte quelques pages qui méritent d’être évoquées. Laurent Croce a d’abord été en rébellion permanente contre la toute puissance des radicaux de gauche. En ce sens, à la fin des années 1970, avant même d’accéder au premier secrétariat, il a compliqué la tâche à deux grandes figures de la politique insulaire : François Giacobbi et Jean Zuccarelli. Au premier, en 1978, qui combattait un Parti socialiste alors tout fringant de l’esprit d’Epinay et de la volonté de changer la Corse à partir d’un statut particulier, il a barré la route vers la députation en refusant de se désister en sa faveur. Au second, il opposera sans cesse une volonté du Parti socialiste d’exister en tant qu’acteur à part entière au sein de la gauche bastiaise, allant jusqu’à provoquer l’invalidation d’un scrutin municipal. La mise en œuvre du Statut Joxe a été une autre occasion de confrontations musclées entre les deux ténors radicaux de gauche et Laurent Croce. Les rapports avec Emile Zuccarelli et Paul Giacobbi auront été plus complexes. Avec l’actuel maire de Bastia, des plages d’alliance fructueuse ont existé durant les années 1980 et 1990. Cette coexistence pacifiée n’a été mise à mal que par les épisodes du processus de Matignon. Alors qu’Emile Zuccarelli s’opposait à une partie des évolutions proposées, Laurent Croce a été un partisan résolu des réformes les plus corsistes. Avec Paul Giacobbi, les rapports sont devenus cordiaux quand, en 1997, Laurent Croce a choisi de le soutenir dès le premier tour du scrutin législatif dans la circonscription de Corte/Balagne. Ces rapports sont devenus au beau fixe durant le processus de Matignon puis, après s’être quelque peu distendus, ils ont de nouveau été très cordiaux de par l’alliance électorale s’étant traduite par un ticket Paul Giacobbi/Emmanuelle de Gentili lors du scrutin territorial de mars 2010.
Une certaine idée de la Corse
Dans l’exercice de ses mandats, Laurent Croce a toujours privilégié une certaine idée de la politique et de la Corse. Il a été porteur d’un atypisme syncrétique se caractérisant par un populisme d’essence gaviniste, un socialisme mâtiné d’humanisme et un corsisme frisant le nationalisme. Ainsi, à l’Assemblée de Corse et lors de ses nombreux contacts avec les responsables nationaux du Parti socialiste, il a défendu bac et ongles les revendications nées de la spécificité corse et soutenu sans réserve le Statut Joxe et le processus de Matignon. Durant la période dite de « retour à l’état de droit » caractérisée par la toute puissance du préfet Bonnet et des actions des services de l’Etat relevant de l’arbitraire, il a dénoncé les excès et est allé jusqu’à lancer à Lionel Jospin qu’il convenait de ne pas confondre « Etat de droit » et « Etat policier ». Laurent Croce a aussi porté à bout de bras des dossiers concernant le développement de la Corse. En ce sens, il a défendu les démarches visant à doter la Corse de transports maritime et aérien au service de l’économie et des habitants de l’île et non à la botte des opérateurs, ce qui l’a conduit à promouvoir la création de la compagnie aérienne régionale auprès de décideurs socialistes peu favorables à la chose. Il a aussi été un partisan de la modernisation du chemin de fer et de la réouverture de la ligne de la Plaine orientale. Au sein de la municipalité bastiaise et du District de Bastia, Laurent Croce a fortement contribué à l’essor du tourisme et au développement de l’intercommunalité. Bien entendu, tout ce qui est exposé dans le présent écrit peut paraître quelque peu dithyrambique. Laurent Croce a aussi essuyé des échecs et n’a pas réussi à mettre en place un Parti socialiste électoralement dominant. Mais ayant choisi de « raccrocher » après avoir pris beaucoup de coups et n’avoir jamais fui les combats, il méritait assurément de se voir rendu ce qu’il convenait de rendre à César, sans que s’imposassent les couteaux d’ides de novembre.
Pierre Corse