Je ne souhaite pas qu’après le temps des « hussards noirs de la République », vienne celui des « chevau-légers de la corsitude ».
J’aime la langue corse. Mes parents me l’ont transmise, je la comprends, je la parle souvent et je la lis quelquefois. Il m’arrive aussi, par respect pour elle, de me boucher les oreilles quand j’entends massacrer sa syntaxe et son esprit, par de nouveaux adeptes qui croient que la maîtrise d’une langue se limite à l’acquisition du vocabulaire et de la grammaire. En outre, depuis le début des années 1970, je soutiens les initiatives donnant à chacun la possibilité d’apprendre le corse. Je suis aussi de ces parents qui considèrent que rien ne saurait remplacer la transmission de notre langue au sein des cercles parental, familial, amical, relationnel, mais qu’il convient aussi de l’enseigner de la maternelle à l’université, et de la valoriser dans la vie de la cité. Ceci afin qu’elle ne soit pas considérée comme un patois de « provincial », un idiome de « dernier des Mohicans » ou un parler local de « paysan attardé ». Je suis donc pour un traitement volontaire et même volontariste du dossier de la langue corse et ne rougis pas de l’avoir dit et même asséné à ceux qui doutaient de la pertinence ou de la modernité de ce choix, ou y voyaient des marques de nationalisme ou de séparatisme.
Un bilinguisme de la contrainte
En revanche, rien ne m’horripile davantage que d’entendre ou lire qu’il conviendrait que l’on passe, en matière d’enseignement et d’emploi de la langue corse, d’un volontarisme consenti à une contrainte décrétée. Aussi, je suis vent debout contre la tentation d’imposer des pratiques immersives généralisées en milieu scolaire. En clair, je ne souhaite pas qu’après le temps des « hussards noirs de la Troisième république » qui imposaient l’usage du français par la trique et le bonnet d’âne, vienne celui des « chevau-légers de la corsitude » qui feraient qu’à la maternelle et dans le primaire la langue corse prédomine et relègue le français à l’état de langue étrangère. Si cela était, l’enseignement du français ne serait que progressivement introduit dans les cycles du primaire de façon - « Ancu di grazia ! » - à être maîtrisé totalement à l’entrée en sixième. A vrai dire, que cette option soit défendue par des enseignants de corse persuadés que - faute d’implication des parents - il n’est pas d’autre moyen de sauver « a nostra lingua materna », je peux le comprendre. Je puis aussi juger logique et même respectable que les indépendantistes aillent dans le sens du « tout corse ». En revanche, je suis inquiète et furieuse quand il semble que d’autres veuillent s’y mettre aussi.
Certification obligatoire
Je partage ainsi le sentiment d’un syndicat de l’enseignement ayant décelé une option « tout corse » dans un projet de co-officialité et de revitalisation de la langue corse circulant au sein de la Collectivité territoriale. Ce texte mentionne que l’obtention d’un diplôme non universitaire (Bac, BEP ou CAP) serait conditionné par la validation de compétences orales et écrites en langue corse (certification de niveau B2 : compréhension courante ; capacité à converser, émettre un avis et soutenir une argumentation) pour peu que le candidat ait été scolarisé trois ans dans l’île. En outre, cette certification B2 serait, dès 2014, un critère d’acceptation des demandes de mutation depuis le continent vers l’île des enseignants du primaire et du secondaire. Enfin, le recrutement des enseignants du primaire et du secondaire serait lui aussi progressivement soumis à ce B2 ! Si tout cela était un jour voté par l’Assemblée de Corse, on passerait, concernant la valorisation de la langue corse, d’une démarche volontaire ou volontariste, à une logique de contrainte. Pas de quoi se réjouir…
Alexandra Sereni