Raymond Aubrac et Ahmed Ben Bella sont morts le même jour. Deux grands résistants ont ainsi quitté notre monde.
Le premier président de l’Algérie indépendante
Ahmed Ben Bella était né en 1918. Il avait combattu dans les forces françaises libres. À la Libération, il milite au Parti populaire algérien (PPA, d’où est issu le MTLD de Messali Hadj) avant d’être nommé dès 1949 à la tête de l’Organisation secrète (OS), où se retrouvent les plus radicaux des nationalistes algériens. C’est l’année où l’attaque de la poste d’Oran (pour renflouer les caisses de l’organisation) lui vaut d’être incarcéré à la prison de Blida. Il s’en évade en 1952 et rejoint Le Caire d’où, avec les autres chefs historiques, il donne le signal du soulèvement du 1er novembre 1954. Considéré comme le principal animateur du FLN, il est arrêté le 22 octobre 1956 par l’armée française après que l’avion civil marocain qui le menait de Rabat à Tunis eut été intercepté en plein espace aérien international. Détenu jusqu’à la signature des accords d’Évian, il entre dans Alger le 3 août 1962, après l’avoir emporté sur ses rivaux. Il dirige le gouvernement et le FLN et se fait élire le 15 septembre 1963 président de la République. Il est renversé le 19 juin 1965 par le colonel Boumediène, qui le fait incarcérer jusqu’au 4 juillet 1979 date à laquelle le président Chadl le placer en liberté surveillée. Il vivra alors entre Suisse et Algérie ne retrouvant sa place parmi les grandes figures de l’histoire de l’Algérie qu’à l’heure de sa mort. Outre sa détermination dans le combat qu’il avait choisi on retiendra qu’il n’eut pas un geste pour arrêter le massacre des harkis une fois l’indépendance obtenue.
Celui qui avait connu Jean Moulin
Raymond Aubrac, l’un des derniers cadres de la Résistance, est mort mardi 10 avril au soir à l’âge de 97 ans à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. Raymond Aubrac était l’une des dernières personnalités de la Résistance à avoir connu Jean Moulin. Il était le dernier survivant des chefs de la Résistance réunis et arrêtés en juin 1943 à Caluire (Rhône) avec le chef du Conseil national de la Résistance (CNR). Lucie Aubrac, elle aussi héroïne de la Résistance, est morte en 2007, à l’âge de 92 ans. Longtemps compagnon de route du Parti communiste, cet homme courageux ne découvre les crimes staliniens qu’en 1956 après une rencontre avec Arthur London. Mais surtout il est l’un des hauts fonctionnaires du ministère de la Reconstruction où il œuvre avec les ministres communistes François Billoux et Charles Tillon qui ne quitteront le gouvernement Ramadier qu’en 1947.
L’ambiguïté des résistants français face à la question coloniale
Or en 1945, en réponse à un massacre opéré par des indépendantistes algériens (200 morts) l’armée française, sous commandement socialiste, exécute plus de cinquante mille indigènes à Sétif. L’aviation, dont le ministre est Charles Tillon, bombarde la population civile. Il sera écrit dans L’Humanité que "les auteurs des troubles [comprendre les indigènes] étaient d’inspiration et de méthodes hitlériennes." Le bureau politique du PCF publie un communiqué le 12 mai déclarant : "il faut tout de suite châtier impitoyablement et rapidement les organisateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute" au nom de la défense" de la république française, métropole et territoires d’outre-mer, une et indivisible."Dans un tract signé par cinq membres du comité central et distribué sur le sol algérien, le PCF appelle à "passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute". Paradoxalement, les grands résistants tels que Raymond Aubrac n’auront pas un mot pour les victimes civiles de ces tueries de masse. Le 29 mars de la même année, la population malgache se soulève contre le pouvoir colonial français. Le nombre de victimes de la répression a atteint le chiffre vertigineux de 89 000 morts en vingt et un mois, selon les comptes officiels de l’état-major français. Côté armée française, 1.900 hommes (des supplétifs malgaches) sont tués ainsi que 550 Européens, dont 350 militaires. Les rebelles ne disposent en tout et pour tout que de 250 fusils. Le gouvernement de Paul Ramadier fait porter la responsabilité de l’insurrection sur les trois parlementaires du MDRM. Les députés, y compris les élus communistes, votent la levée de leur immunité parlementaire. Ils sont arrêtés et torturés. Deux sont condamnés à mort mais leurs peines heureusement commuées en exil. C’est ainsi que Raymond Aubrac et Ahmed Ben Bella se turent tous deux devant des crimes majeurs commis par leurs camps après avoir héroïquement combattu la barbarie nazie qui avait utilisé elle aussi le massacre de masse et la torture. Plus dérisoire, Raymond Aubrac et son épouse appartinrent à l’éphémère comité de soutien au préfet Bonnet toujours au nom des valeurs d’une république fantasmée.
GXC