Les publics concernés n’adhèrent guère à une mixité sociale les coupant de leur communauté. Les populations appelées à cohabiter avec des familles estampillées « classes dangereuses » ou « communautaristes », ne l’acceptent pas davantage.
La mixité sociale est présentée comme une des conditions de la cohésion sociale. Elle suppose une organisation par les pouvoirs publics de la cohabitation de personnes ayant une culture, une origine nationale ou un niveau de vie différent. Elle représente un des objectifs majeur de la Politique de la ville qui - depuis au moins trois décennies et dans le cadre d’une contractualisation des actions associant l’Etat et les collectivités locales concernées - vise à améliorer l’urbanisme, l’habitat, le service public, la vie associative et l’activité économique dans les quartiers urbains « sensibles ». Chez nous, des quartiers ajacciens et bastiais sont éligibles. Or, dans un rapport publié ces derniers jours, la Cour des comptes étrille la politique de la ville. Elle constate que l’injection de milliards d’euros n’a pas permis une réduction significative des inégalités entre les ZUS (zones urbaines sensibles) et les autres territoires urbains. Elle argue de l’insuffisance des financements pour recommander leur mobilisation sur les six départements où sont concentrées les plus grandes difficultés sociales, sociétales, économiques, éducatives, culturelles et professionnelles. En revanche, elle ne remet pas en cause l’objectif de mixité sociale. Ainsi, selon la Cour des comptes, l’échec de la politique de la ville et en corollaire celui de la mixité sociale résulterait essentiellement d’un effort financier insuffisant et dilué. Cette façon de voir n’est toutefois pas unanimement partagée.
Un a priori aberrant !
Des sociologues vont plus loin. Ils remettent en cause la logique voulant que la politique de la ville associe une indispensable démarche de revitalisation urbaine et un objectif de mixité sociale. Selon eux, vouloir modifier la population des quartiers urbains « sensibles » au nom d’une mixité sociale - en déplaçant certaines populations « fragiles » ou en difficulté, ou en s’opposant au regroupement de familles d’origine étrangère ayant de mêmes origines nationales - suggèrerait que les problèmes résulteraient non pas du cadre de vie mais des habitants. Ce qui conduit ces sociologues à souligner qu’une politique censée intégrer ou insérer des populations dans le tissu social, aboutirait à stigmatiser ces dernières, à les priver des repères sociaux et sociétaux et du sentiment d’appartenance qu’elles avaient pu acquérir par elles-mêmes, à leur interdire de mobiliser et mettre en commun leurs ressources de résilience, de responsabilisation, d’adaptation et d’initiative. En définitive, dans le cadre d’une Politique de la ville censée créer un univers urbain requalifié, un habitat rénové, un accès au service public amélioré et un réseau d’associations et de travailleurs sociaux, des populations seraient, au nom de la mixité sociale, considérés a priori incapables de cohabiter et de faire vivre leur quartier dans le respect des lois et des normes fondamentales de la société française. Aberrant !
Autonomie au sein d’une communauté
La mixité sociale ne serait-elle alors qu’une construction intellectuelle dont les applications technocratiques à travers la Politique de la Ville, viseraient à rassurer ceux qui craignent une concentration organisée de « classes dangereuses » ou de communautés ? A cette question, la réponse honnête me semble être : oui. Le caractère à la fois artificiel, technocratique et laminant des actions se réclamant de la mixité sociale, apparaît d’ailleurs très clairement si l’on porte son attention sur ce qui se pratique ailleurs. En d’autres pays, il n’est pas question d’organiser la répartition des populations urbaines ou même de prétendre agir sur leur vie sociale. Ainsi, aux USA et en Grande-Bretagne, l’individu en difficulté est incité à se prendre en charge aux plans économique, professionnel, familial et social. Quant à l’appartenance à une communauté nationale, ethnique, religieuse ou sexuelle, elle n’est pas ressentie comme un danger, mais comme un cadre d’appartenance dans lequel cet individu pourra trouver des repères et de la solidarité. L’autonomie et le volontarisme de la personne au sein d’un groupe organisé sont donc privilégiés. Les solutions collectives élaborées par l’Etat ou les collectivités locales ne concernent généralement que des populations en situation d’exclusion ou de rupture sociale.
Un équilibre à trouver
Il apparaît nettement que la recherche d’une mixité sociale découle davantage d’une volonté d’intégrer les populations dans un moule social, que d’une démarche d’insertion visant à favoriser la cohabitation harmonieuse des différences. Ce qui ressemble fichtrement aux politiques jacobines et laïcardes imposées dont la France s’est fait une spécialité, et en lesquelles beaucoup de ses élites croient encore reconnaître un modèle républicain. On peut dès lors comprendre que les publics concernés n’adhèrent guère à une mixité sociale ayant pour conséquence de réduire leur autonomie cat les coupant de leur communauté ou de leur quartier d’origine. Il est d’ailleurs également compréhensible que les populations se voyant un beau jour appelées à cohabiter avec des familles estampillées « classes dangereuses » ou « communautaristes », l’acceptent mal. Faut-il pour autant rejeter toute politique de la ville et s’en remettre aux pratiques US ou britanniques ? Sans doute pas. Respecter l’autonomie de l’individu et lui faire confiance, ainsi que ne pas s’effrayer de ses attaches communautaires, n’impliquent pas forcément que l’Etat et les collectivités locales renoncent à des politiques de développement urbain, de réduction des inégalités entre les territoires et de solidarité sociale.
Pierre Corsi