La défaite de Camille de Rocca Serra dans le canton de Porto Vecchio est historique en ce sens qu’elle signe la fin d’une dynastie. Mais celles et ceux qui voudraient y voir l’agonie d’un système pourraient se tromper lourdement. Le clanisme a encore de belles heures devant lui grâce à la crise économique mondiale.
La chute de la maison Rocca Serra
Le premier des Rocca Serra à apparaître dans l’histoire est un certain Giovan Paolo Rocca Serra, un capurale de l’Alta Rocca, vraisemblablement descendant de l’une des branches de la féodalité cinarcaise. Cela date de la fin du Moyen Âge. Porto Vecchio n’était alors qu’une anse où s’abritaient les bateaux de corsaires algérois venus chercher des esclaves dans les montagnes corses. Plus près de nous, un certain Vincente Maria Rocca Serra occupe la fonction d’édile de Porto Vecchio durant le premier Empire. Il est remplacé par un Pietri en 1814 qui, à son tour, laisse sa place à un Camille de Rocca Serra en 1823. En 1839, c’est encore un membre de la famille de Rocca Serra qui est élu maire de Porto Vecchio ainsi qu’en 1848. Les régimes passent et les Rocca Serra restent. En 1872, Horace de Rocca Serra devient le premier maire élu de Porto Vecchio sous la IIIème République et est remplacé 1876 par Jean Paul de Rocca Serra, l’arrière-grand-père de l’actuel Camille. En 1888 Horace de Rocca Serra est élu à son tour. En 1922, Camille, le grand-père de l’actuel Camille, devient premier magistrat de la ville sudiste. Il est affilié par sa mère à la grande famille des Abbatucci qui donna à la Corse pléthore de chefs militaires et de ministres tant à la France qu’à diverses républiques italiennes. Son père était déjà conseiller général de Porto Vecchio et il a épousé en 1910, la fille d’Érasme Carrega, deux fois maire de Bonifacio et conseiller général de cette ville qui occupait alors une place stratégique et économique essentielle. Carrega est alors propriétaire avec un nommé Santini de la seule usine de bouchon de l’île dont le liège est fourni par la famille Rocca Serra, également propriétaire de marais salants. L’usine Carrega-Santini est l’une des quatre plus importantes fabriques d’objets en liège de France. Carrega et Santini sont aussi concessionnaires de la ligne Frayssinet qui importent toutes les denrées alimentaires nécessaires au sud de la Corse. Le clan Rocca Serra détient donc une place stratégique en Corse dont il use en seigneur. Il se réclame du gavinisme, le parti réactionnaire de Corse. Camille de Rocca Serra, député, est désigné maire par le pouvoir pétainiste et collabore avec l’occupant. Il est à ce titre, privé de ses droits civiques, à la Libération. Il est remplacé en 1949 par son fils Jean Paul qui se proclame radical avant de devenir gaulliste en 1958. Il remplira treize mandats de député. Conseiller général de 1949 à 1988 et plusieurs fois porté à la présidence du Département de la Corse-du-Sud, il est élu à neuf reprises maire de Porto-Vecchio. Il devient, en 1952, Président du conseil général de Corse en et sénateur en 1955. En 1962, il retrouve son poste de député et le reste jusqu’à la fin de son existence non sans être devenu le deuxième président de l’assemblée territoriale. C’est dire que la défaite de son fils Camille clôt une histoire familiale exceptionnelle.
Le clan après le clan
Camille de Rocca Serra n’a guère montré les qualités d’un grand politique. Il n’a pas la férocité nécessaire. Il a multiplié les erreurs tactiques (l’abandon de la mairie par exemple) et a pâti d’une conjoncture défavorable. Il a enfin payé son amitié défunte pour le président de la République. Le clanisme est par essence parasitaire. Il sert de courroie de transmission entre des clients au sens romain du terme et un pouvoir central qui achète ainsi une paix sociale. En un demi-siècle, la société corse s’est urbanisée et a bénéficié d’apport de populations dont une partie appartient aux classes moyennes continentales. Jean Christophe Angelini a bénéficié du désir de modernité de ces dernières et de leur sentiment d’abaissement social. Les vieilles fidélités n’ont pas fait défaut à Camille de Rocca Serra mais les piliers clanistes ont vieilli et beaucoup remplissent les cimetières. Le clan traditionnel n’a pas su se renouveler. Or le système exige une adaptation permanente. Jean Christophe Angelini, s’il remporte les batailles futures, va néanmoins devoir composer avec le clientélisme qui, lui, avec la crise, est plus fort que jamais.
Gabriel Xavier Culioli