La Corse est dans le camp du vaincu et aucun candidat majeur n’a pris la peine de proposer quelque chose la concernant exclusivement.
François Hollande est devenu le deuxième président de gauche de la Ve République. Comme Valery Giscard d’Estaing en 1981 qui avait été défait par François Mitterrand, Nicolas Sarkozy a du quitter l’Elysée après un seul quinquennat. Le candidat socialiste a obtenu près de 52% des suffrages. En revanche, dans l’île, le président sortant est arrivé largement en tête. Il s’est imposé en Corse du Sud (57,60%, 41834 voix) et en Haute-Corse (54,41%, 46965 voix). Sur l’ensemble de la région, il a totalisé 55,87% des suffrages, soit 88 799 voix. Nicolas Sarkozy l’a emporté dans presque toutes les principales communes, y compris celles étant administrées par des maires de gauche ou membres des majorités territoriale ou départementale de ce camp. En Corse du Sud, le président sortant l’a logiquement emporté à Porto-Vecchio (61,27%, 3767 voix) et s’est aussi imposé à : Ajaccio (55,74%, 12 987 voix), la ville du député-maire DVG Simon Renucci ; Propriano (57,16%, 886 voix), la cité du radical de gauche Paul-Marie Bartoli, conseiller exécutif ; Bonifacio (62,12%, 1148 voix), ayant pour maire le socialiste Jean-Charles Orsucci qui préside le groupe des conseillers giacobbiste à l’Assemblée de Corse. Ainsi, en Haute-Corse, le président sortant, s’est imposé triomphalement à Calvi (74,52%, 2053 voix) et dans les grandes communes de droite du sud de Bastia : Borgo (80,15% , 2544 voix), Biguglia (63,75%, 2219 voix) et Lucciana (63,16%, 1286 voix), et a aussi tiré son épingle du jeu à : Corte (51,73% , 1344 voix) pourtant sous forte influence des amis de Paul Giacobbi ; Ghisonaccia (67,08%, 1137 voix) administrée par un maire appartenant à la majorité départementale de Paul Giacobbi, et surtout Furiani (55,52%, 1530 voix) administrée par le sénateur-maire radical de gauche François Vendasi. Seule Bastia, la cité d’Emile Zuccarelli, où Jean Zuccarelli a mené une campagne dynamique en faveur de François Hollande, a voté majoritairement en faveur de ce dernier (51,65%, 7278 voix).
Une touche bleu marine
Deux conclusions sont à priori à tirer. La première va de soi : la Corse est largement ancrée à droite bien que la gauche ait progressé de 10 points entre le premier et le deuxième tour. Si l’on considère que la participation n’a augmenté que de 3 points, il convient de déduire qu’une partie du « bond en avant » a été déterminée non seulement par le report de voix de François Bayrou, mais aussi par celui de nombreux suffrages qui, le 22 avril, s’étaient portés sur Marine Le Pen. Une touche bleu marine a permis au rose de ne pas faire trop pâlot. La deuxième conclusion est que la victoire de Paul Giacobbi lors du scrutin territorial de 2010, la maîtrise par la gauche du département de la Haute-Corse et de collectivités communales et intercommunales majeures, ainsi que les concessions faites aux nationalistes par la majorité territoriale, n’ont pas permis à la gauche d’inverser en sa faveur le rapport de force politique (bien que Nicolas Sarkozy ait perdu un peu de terrain). La nature composite des majorités chères à Paul Giacobbi et à quelques autres notables de gauche, ainsi que la faiblesse chronique du Parti Socialiste, expliquent sans doute pour une bonne part cette incapacité de capitaliser. Une autre conclusion se dessine mais avant de la valider définitivement, il conviendra de la vérifier en examinant à la loupe les participations, les résultats et les reports dans chaque commune. A ce jour, il semble toutefois qu’une partie prédominante de l’électorat nationaliste ait opté pour le président sortant. En effet, si l’on considère le scrutin territorial de 2010 (36% à la gauche, un peu plus de 35% aux nationalistes) et le résultat de Nicolas Sarkozy (55,87%), il est difficile d’imaginer que le vote nationaliste ait davantage profité à François Hollande qu’au président sortant. Nul doute que les candidats UMP qui iront à la bataille législative en juin sauront s’en souvenir et ne seront pas, dans les prochains jours, les derniers à expertiser les résultats.
Le tapis corse
Au vu du résultat national du scrutin présidentiel, étant dans le camp du vaincu, la Corse est donc hors jeu. Mais elle l’est aussi pour une autre raison : les états-majors des grands partis - outre qu’ils ne croient plus que les suffrages insulaires s’inspirent d’une volonté groupale de défendre une vision de l’île ou une communauté - sont bien décidés à ne plus se prendre les pieds dans le tapis corse. Pour preuve : aucun candidat majeur n’a pris la peine de proposer quelque chose concernant l’île exclusivement. Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont bornés à indiquer qu’ils seraient attentifs aux propositions venant de l’Assemblée de Corse. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont invité les insulaires à davantage s’identifier à la Nation française. De la « question corse », la France politique ne veut plus en entendre parler. On peut d’ailleurs la comprendre. La propension des insulaires à ne vouloir vraiment rien ou décider vraiment, finit par rendre pénibles les doléances. D’autant que les Français du Continent se divisent en deux catégories : ceux qui aiment l’Ile de Beauté, ont quelques amis corses et se fichent du reste ; ceux qui disent que nous leur « coûtons la peau du cul » et ne nous souhaitent qu’une chose : l’indépendance au plus vite. Il convient d’ajouter avant de conclure qu’au vu du score qu’il vient de réaliser dans cette île « de gauche », François Hollande ne sera probablement pas très enclin à se pencher d’urgence et avec passion sur ses éternels « bobos ».
Pierre Corsi