Accueil du site > Societe > L’omertà et la rumeur
 

L’omertà et la rumeur

jeudi 13 décembre 2012, par Journal de la Corse

La rumeur est une gangrène dont les effets sont sans doute pires que l’omertà qui, elle au moins, n’expose personne à la vindicte.

Depuis des années, la société corse est accusée par les médias parisiens de respecter l’omertà, certains ministres et trop de magistrats et de policiers. L’omertà est un vocable sicilien que l’on traduit communément par « loi du silence ». Il s’agit d’une règle tacite imposée par les mafieux qui consiste principalement en la non-dénonciation de crimes et plus globalement en l’absence totale de participation, par le témoignage ou la délation, à l’action de la police et de la justice. L’omertà s’impose aux mafieux et à tous ceux qui seraient susceptibles de témoigner contre eux ou de les dénoncer. Quiconque trahit cette règle se voue de lui-même à la mort. Les mafieux respectent et imposent l’omertà autant par « éthique » que par instinct de conservation car ils savent bien que si l’un d’eux la bafoue, ne serait-ce que pour nuire à un clan ennemi, ce dernier pourrait agir de même. Ce qui conduirait à terme à une autodestruction du système mafieux. L’omertà explique, en partie, la longévité de la mafia sicilienne et d’organisations criminelles similaires. Il est indéniable que la société corse est affectée par une forme d’omerta. Mais cela n’est, à ce jour, en rien comparable avec les situations sicilienne, sarde ou calabraise. En réalité, il existe chez nous une tradition de méfiance à l’encontre de l’autorité, ainsi que des proximités familiales, amicales ou relationnelles qui, s’ajoutant à une peur diffuse, invitent au silence du témoin ou du criminel. Mais rien n’est explicitement ou tacitement codifié ou imposé à l’échelle de la société par une organisation criminelle.

Meurtrière rumeur

Si nous ne sommes pas régis par l’omertà, nous le sommes en revanche par la rumeur. Chez nous, les langues ont une regrettable propension à incriminer et salir autrui. Elles le font certes par volonté de nuire, mais également et même surtout pour satisfaire au plaisir malsain de paraître mieux informé que son prochain et d’afficher la puissance de celle ou celui qui est dans le secret des dieux. Il s’agit d’un véritable fléau social dont personne n’a la garantie d’être à l’abri. La rumeur est d’autant plus dangereuse et nuisible que certaines allégations sont désormais relayées par des médias, des policiers, des magistrats et des ministres. Il advient même qu’elle prenne la forme particulièrement pernicieuse de « poussette », c’est-à-dire de manipulation élaborée et ciblée visant à créer des conflits entre des individus ou au sein d’un groupe en distillant de la désinformation. La rumeur est une gangrène dont les effets sont sans doute pires que l’omertà qui, elle au moins, n’expose personne à la vindicte. La rumeur peut placer, au plan social, un même individu dans des situations paradoxales d’accusateur et d’accusé, d’innocent et de coupable, de bourreau et de victime. Elle détermine des comportements de défiance, de ressentiment, d’auto-défense, d’agression ou de vengeance. Elle pollue ou tue les vies personnelle, professionnelle, familiale et sociale, et peut aussi tuer tout court en conduisant ses victimes au suicide ou au crime. En 1936, Roger Salengro, ministre du Front populaire ayant fait l’objet d’une campagne de presse infamante et ne supportant plus les calomnies, a mis fin à ses jours. En 1914, Henriette Caillaux, révulsée par des articles mensongers visant son mari alors ministre des finances, a pris rendez-vous avec le directeur du Figaro et l’a abattu de plusieurs balles. Rumeur mortifère…

Alexandra Sereni

  • delicious
  • facebook
  • google
  • twitter

Répondre à cet article