Xavier Bonhomme, nouveau patron du parquet d’Ajaccio, a pris ses fonctions en septembre dernier. Il succède, ainsi, à Thomas Pison et fait de la lutte contre le grand banditisme, sa priorité. Entretien…
Vous êtes en fonction depuis septembre dernier. Comment ce choix de venir en Corse s’est-il dessiné ?
J’avais demandé plusieurs postes dont la Corse. Il est vrai que c’est un choix qui ne se fait pas au hasard. Il y a, ici, un contexte particulier, peu de petite et moyenne délinquance, mais des affaires qui sortent de l’ordinaire, des affaires financières importantes et des homicides et règlements de comptes beaucoup plus fréquents qu’ailleurs.
Peut-on parler de spécificité corse en matière judiciaire dans l’île ?
Oui, elle est indéniable. Les affaires les plus graves y sont plus présentes et plus prégnantes que sur le reste du territoire français. Tout en ayant une petite et moyenne délinquance très maîtrisées avec un sentiment d’insécurité quasiment nul.
Vous êtes, malheureusement, rentré, dès votre arrivée, dans le vif du sujet avec, déjà trois meurtres liés au grand banditisme. Que cela vous inspire-t-il ?
Il y a eu, depuis mon arrivée, quatre faits majeurs : la tentative d’assassinat sur M. Cervoni, la vague d’explosions de début septembre qui a touché les grandes surfaces et les assassinats de maître Antoine Sollacaro et Patrick Sorba. Quatre faits majeurs en un mois et demi, il est vrai que cela fait beaucoup. Je m’y attendais mais sans doute pas dans cette mesure.
Peut-on parler, avec l’assassinat d’Antoine Sollacaro, d’un nouveau palier dans l’escalade du grand banditisme en Corse ?
Certainement car il choque peut être plus même s’il ne faut pas banaliser les autres meurtres perpétrés dans l’île. C’est un avocat et quand on touche à ce genre de personne, on s’attaque à l’ensemble de la famille judiciaire. C’est aussi une atteinte aux valeurs qui fondent la justice.
Considérez-vous, comme le ministre de l’intérieur le précise, que l’omerta fait l’affaire du grand banditisme et qu’il est important de briser la loi du silence ?
Je ne pense pas que la loi du silence soit, véritablement, le mode de fonctionnement des Corses. Mais il est vrai, et on le voit à l’examen des affaires, que la population pourrait plus collaborer avec la justice. On a beaucoup d’affaires dans lesquelles nous avons des témoins et force est de constater que ces personnes ne disent pas nécessairement tout. Je pense que la raison principale est la crainte de représailles et je veux bien le comprendre. Je n’appelle pas à la délation mais il faudrait, à mon sens, inciter cers personnes à aller au bout de leur témoignage et faire en sorte qu’elles le fassent en toute sécurité. On a, un outil, le témoignage sous x, qui peut permettre, même s’il est décrié, d’avancer dans les dossiers. Dans certaines affaires, on n’a pas d’autres solutions.
Une centaine de meurtres ont été commis en Corse depuis 2006. La plupart ne sont toujours pas élucidés. Peut-on parler d’échec pour la justice ?
Ce n’est pas un constat d’échec. Si ces meurtres avaient eu lieu ailleurs qu’en Corse, je ne suis pas certain que nous aurions un taux d’élucidation supérieur. Dès lors que l’on s’attaque à la vie humaine, que les auteurs présumés font partie de la grande criminalité, les enquêtes sont nécessairement difficiles à mener. Nous n’avons pas affaire à des amateurs mais à des personnes déterminées qui prennent, par la force des choses, des précautions. Et c’est cela qui rend le travail très difficile.
Que pensez-vous des critiques dont la JIRS de Marseille fait l’objet ?
Je trouve qu’elles sont injustes. Si la JIRS est saisie, c’est qu’il s’agit d’affaires complexes. Et la complexité fait que l’enquête sera difficile à mener. Elle est en charge de crimes d’exception, et les moyens juridiques qu’elle est susceptibles d’utiliser font partie intégrante du code de procédure pénale. Ces critiques sont difficilement admissibles car les magistrats de la JIRS sont compétents et soucieux de l’intérêt commun d’agir et d’enquêter dans le respect des libertés individuelles.
Antoine Sollacaro avait, lui-même, dénoncé, les pratiques de la JIRS. Son fils, Paul a demandé qu’elle soit dessaisie du dossier de l’assassinat, et l’enquête confiée au parquet d’Ajaccio. Qu’en pensez-vous ?
Je peux comprendre la douleur d’un fils qui vient de perdre son père dans des conditions aussi atroces. Concernant le dessaisissement du dossier, je me refuse à apporter d’autres commentaires. Cela me paraît être surtout une réaction de douleur. Personnellement, je veux bien traiter un dossier de cette nature mais nous sommes face à deux difficultés majeures pour qu’il reste à Ajaccio : il nous faut des moyens humains que n’avons pas car nous sommes un petit parquet composé de seulement cinq magistrats. Et puis, à partir du moment où l’on peut envisager que ce meurtre puisse être en lien avec d’autres dossiers traités par la JIRS, il serait inopportun de le garder au parquet d’Ajaccio.
Ne serait-il pourtant pas souhaitable, avec plus de moyens, que ces dossiers soient gérés en Corse ?
Il faut savoir, dans un premier temps, que tous les dossiers d’homicides ne sont pas traités à Marseille. La majorité de ceux liés au grand banditisme partent. Pour le reste, on en garde un sur deux. C’est, du reste, la même proportion avec Paris en ce qui concerne les attentats.
Vous êtes-vous, avant votre arrivée, entretenu avec votre prédécesseur Thomas Pison ?
J’ai, effectivement, rencontré, Thomas Pison ce qui répond, en quelque sorte à une logique nationale. Quand un procureur arrive dans une juridiction, quelle qu’elle soit, il prend nécessairement contact avec son prédécesseur, au moins pour échanger. Un procureur a, ne l’oublions pas, une double casquette. Il gère le tribunal sur un plan administratif, ce qui lui prend la moitié de son temps, et au moins pour cela, je devais rencontrer M. Pison, et il y a également l’action publique, c’est-à-dire la gestion des dossiers où il convient aussi d’échanger avant de passer le flambeau.
Pensez-vous que les mesures annoncées par le gouvernement favoriseront la lutte contre la grande criminalité en Corse ?
Je n’ai pas à porter de jugement sur ces mesures mais elles me semblent aller dans le bon sens. Il faut, effectivement, des moyens supplémentaires, notamment pour les administrations de l’Etat, en matière économique et financière. Il convient, par ailleurs, de mettre l’accent sur cette volonté inébranlable, d’endiguer cette violence dans l’île.
L’expérience vous paraît-elle nécessaire pour exercer en Corse ?
Je pense, effectivement, qu’il faut une solide expérience pour venir ici. Je suis, pour ma part, un magistrat pénaliste depuis ma sortie de l’école. Le pénal est une matière vivante et active qui me plaît. Et j’ai cette expérience de magistrat pénaliste depuis vingt ans. Une expérience acquise, notamment à Marseille lorsque je dirigeais le pôle économique et financier. Mais ce n’est pas parce que l’on est un jeune magistrat que l’on va échouer en Corse.
Quel objectif vous fixez-vous dans l’île ?
Je forme le vœu que la violence soit endiguée, je ne suis pas certain d’y arriver mais je ne suis pas le seul aux commandes. Je pense que la population corse a aussi son rôle à jouer.
Interview réalisée par Joseph Albertini