Nommé en 2009 à la direction régionale de la SACEM, Philippe Messant, homme de terrain ayant, de surcroît, un vécu de musicien, a tout de suite pris conscience de l’énorme potentiel que recelait la Corse dans ce domaine. Il évoque, dans cet entretien, les spécificités insulaires et met l’accent sur la qualité et la diversité des auteurs-compositeurs corses. Sans omettre d’y ajouter l’importance que revêt, dans cette perspective, la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM).
Vous êtes en place depuis deux ans. Quelle analyse, faites-vous, de la production insulaire ?
On recense, à peu près sept cent auteurs-compositeurs, dans l’île ce qui, pour une population de trois cent mille habitants, est énorme. Pour exemple, je viens du Var, un département où le nombre d’auteurs-compositeurs est sensiblement le même, sauf que la population est évaluée à un million d’habitants. Donc, il y a, ici, d’une part, cette importance en nombre mais également une grande diversité dans la création musicale. C’est, du reste, ce qui m’a le plus surpris lors de mon arrivée. Je n’avais, auparavant, jamais trouvé des auteurs-compositeurs ayant un type de musique aussi varié. On passe, en Corse, de la polyphonie sacrée, profane ou contemporaine, à la variété corse, aux groupes culturels, de l’électro aux Corses qui chantent en Français, sans oublier les groupes de rock, dont certains chantent en langue corse, les musiciens de jazz et même du hard-rock C’est véritablement quelque chose d’unique.
Comment peut-on expliquer cette "explosion" soudaine en si peu de temps ?
Il m’est réellement difficile de jauger cette évolution puisque je n’ai pris mes fonctions qu’il y a seulement deux ans. Je sais, néanmoins, qu’il y a une vingtaine d’années, ce nombre variait autour de 70. Je pense que cette situation peut s’expliquer de diverses façons. D’une manière générale, les auteurs-compositeurs insulaires se sont, de plus en plus, dirigés vers le professionnalisme. L’amateurisme, même s’il reste noble par essence, a ses limites, notamment dans le rythme de travail ou pour ce qui concerne les déplacements. Et puis, vu de l’extérieur, il ne faut pas oublier que "I Muvrini" ou Antoine Ciosi ont été des moteurs. Autre point important, le phénomène du riacquistu, qui a considérablement accéléré les choses. En même temps, les auteurs et compositeurs ont sans doute pris conscience qu’il leur fallait s’ouvrir sur l’extérieur s’ils voulaient que cette musique survive. Une culture qui ne s’ouvre pas vers l’extérieur, c’est-à-dire, sur le monde et d’autres horizons musicaux, est vouée à disparaître. Ce rush prouve bien, à mon sens, deux choses. La multiplicité, d’une part, des choix musicaux, la nécessité de créer et, en même temps, le besoin, pour les auteurs-compositeurs, d’adhérer à notre organisme afin de protéger leurs œuvres et de percevoir des droits.
Comment jugez-vous, au niveau qualitatif, l’ensemble de ces auteurs-compositeurs ?
Je n’ai pas encore entendu tout le monde. Je retiens, néanmoins, de ce que j’ai vu et entendu, une caractéristique importante : les groupes, chanteurs et musiciens travaillent énormément et proposent des répertoires de qualité. Il y a, bien sûr, les porte-drapeaux comme "A Filetta" qui fait le tour du monde et s’ouvre sur d’autres musiques. Mais je pense, également, à d’autres groupes comme "l’Alba" ou "A Riccucata". Dans un autre registre, le rock, "Blague à part" a été sélectionné pour participer au Printemps de Bourges. Une chanteuse comme Francine Massiani a pris une ampleur considérable en peu de temps. Il y a vraiment de la qualité en Corse.
Que pensez-vous de la création insulaire ?
Je crois qu’elle se porte bien, tant au niveau du spectacle vivant que de la production phonographique. En outre, la réussite et le travail de certains fait avancer les autres. Tout le monde peut y arriver et le potentiel est, en Corse, énorme. Le talent, c’est l’art de travailler ses dons. Les musiciens et chanteurs corses ont une qualité d’interprétation globalement supérieure à ce qui se fait dans d’autres régions.
Quel est le fonctionnement de la SACEM ?
C’est une société civile qui existe depuis 160 ans. Il y a un conseil d’administration qui est élu par tous les auteurs-compositeurs membres de la SACEM. Son président est, actuellement, Laurent Petit-Gérard. Le personnel, qui représente, au niveau national, 1400 personnes est chargé de la gestion informatique et de la répartition nationale et internationale. Et enfin, 80 délégations ou directions régionales réparties sur toute la France, dont celle d’Ajaccio qui englobe l’ensemble de l’île. En Corse, La SACEM existe depuis depuis plus de cinquante ans. Nous sommes chargés de percevoir les droits à chaque fois que les œuvres des auteurs compositeurs membres de la SACEM sont diffusées dans un lieu public. Cela concerne les établissements de type cafés, restaurants et hôtels mais aussi les grandes surfaces, coiffeurs, discothèques, etc. Ensuite, cela touche les radios et tv ainsi que les manifestations occasionnelles comme les bals, kermesses, spectacles, concerts. Notre mission première est de rémunérer les auteurs. C’est un salaire. Après déduction de nos frais, (15%), ces droits (85%) perçus sont répartis à tous les auteurs-compositeurs. Pour les CD, il y a un droit perçu à la source, le droit de reproduction mécanique, le producteur règle des droits reversés aux auteurs, à hauteur de 8% du prix de vente.
Que représentent ces droits sur le plan financier ?
Le montant des droits reversés varie chaque année. Pour exemple, on a reversé à peu près 1,5 millions d’euros à 450 auteurs-compositeurs en 2010. C’est un chiffre important surtout au regard de ce que la direction régionale perçoit en amont au titre du droit d’exécution publique. Il faut savoir que la Corse est une exception puisque les auteurs-compositeurs perçoivent directement les droits. Partout ailleurs, ces sommes sont affectées à un fond national. Elles sont, ensuite, reversées à un ensemble d’œuvres répertoriées en fonction de la production phonographique ou la diffusion radio.
Tout le monde joue t-il le jeu en s’acquittant des redevances ?
Globalement oui. Qui, en Corse, n’a pas, dans sa famille, ses amis ou ses relations un auteur compositeur ? Avec une population de 300000 habitants, on a vite fait le tour. Tout le monde doit être sensibilisé par cette démarche qui, en soi, n’est pas très coûteuse. Elle représente 200 euros par an pour les cafés, hôtels et restaurants, 108 euros pour les magasins et 75 euros pour les coiffeurs. Nous avons, en moyenne, 2000 contrats à l’année. On se rend, bien souvent, sur le terrain, afin de procéder à des vérifications. Nous sommes habilités pour dresser, le cas échéant, des procès verbaux. Mais il faut souligner que, dans l’ensemble, la population corse est très légaliste.
Interview réalisée par Joseph Albertini