Une semaine avant la rentrée politique de l’Assemblée de Corse, Paul Giacobbi, président de l’exécutif, exprime son sentiment sur les grands axes sur les lesquels la Collectivité compte concentrer ses efforts. Au cœur du débat, l’évolution institutionnelle de l’île.
Vous étiez convié, la semaine dernière, à Paris, en compagnie des autres présidents de Région, à une réunion à l’Elysée, à l’initiative du Président de la République. Quel en était la teneur ?
Cette réunion portait sur le rôle des régions dans la croissance, l’emploi et l’innovation. Il s’agissait, pour les régions, conjointement avec l’Etat, de prendre un certain nombre d’engagements dans ce domaine. Le cœur du sujet reposait sur le financement des PME à travers un nouvel outil, la Banque Publique d’Investissement. C’est la première fois qu’une réunion de cette nature aussi longue et qui va, autant, au fond des choses, se déroule en présence du président de la République.
À cette occasion, vous avez évoqué la spécificité corse. Sur quels axes ?
J’ai attiré l’attention du chef de l’Etat sur deux points précis : la criminalité et l’évolution institutionnelle. Concernant le premier point, nous connaissons une période extrêmement difficile. Le gouvernement, qui s’est engagé par rapport à la situation de la ville de Marseille, doit en faire de même pour la Corse. Nous avons eu, dans ce sens, une réponse très favorable de François Hollande. J’ai rappelé, sur le deuxième point, que l’Assemblée de Corse travaillait sur des sujets d’ordre institutionnels. J’ai fait remarquer au Président de la République que la Corse avait, déjà, un cadre particulier mais qu’il était nécessaire d’étendre ses compétences. Nous avons indiqué que la CTC ferait des propositions avant la fin de l’année. Le Président de la République a répondu qu’il y serait très attentif et qu’il en tiendrait compte. À condition que cela ne remette pas en cause le fait que la Corse fasse partie de la République.
Concernant l’évolution institutionnelle de la Corse, le candidat François Hollande avait renvoyé, justement, la balle dans le camp des élus insulaires en leur demandant de faire des propositions concrètes. Où est-on, aujourd’hui ?
Il y a trente ans, le statut était octroyé, sans concertation, depuis Paris. Ensuite, il y a eu une période de dialogue entre l’Etat, qui gardait, toutefois, les rênes, et la Corse pour savoir ce que l’on voulait. Aujourd’hui, nous sommes des gens responsables et nous nous assumons. Depuis deux ans, j’ai fait en sorte que nous utilisions pleinement les pouvoirs qui sont les nôtres. Et nous l’avons fait, de manière forte et très claire dans au moins deux domaines : les transports, aérien ou maritime, où l’on a choisi, décidé et voté, ce dont nous avions besoin, en fonction, avant tout, de l’intérêt de la Corse. Et le Padduc où nous avons utilisé pleinement notre pouvoir législatif de telle sorte que cette loi est, aujourd’hui, très originale. Elle crée un ordre juridique particulier qui fait que le document s’imposera aux autorisations de permis de construire, même en l’absence de PLU, de cartes communales, etc. Dans un second temps, j’ai fait en sorte que nous nous préparions dans certains domaines, à demander les pouvoirs dont nous aurions besoin. Je donne trois exemples précis. Dans le domaine du foncier, on constate la spéculation-la moitié des logements construits dans l’île sont des résidences secondaires- et la difficulté pour trouver un logement à un prix raisonnable dans une grande partie de la Corse. Nous avons donc pris des mesures mais nous voyons bien qu’il faudra règlementer l’accès au foncier en Corse pour les non résidants. Pour cela, il faudra, nécessairement, faire progresser les institutions car, actuellement, la loi ne nous le permet pas. Deuxième point, la langue corse. La proposition de l’exécutif tendra à ce que l’on reconnaisse son existence dans un cadre d’officialité c’est-à-dire son utilisation dans les actes de la vie publique, ce qui est déjà un peu le cas. On veut progresser dans ce domaine et cela suppose, également, une révision de la constitution. C’est une première pour un pays quelque peu rigide comme la France. Il y a 27 pays dans l’Union Européenne. Certains comme l’Italie, l’Espagne ou la Grande-Bretagne, ont une ouverture qui permet la pratique des langues régionales. La règle consiste, lorsqu’il y a plusieurs langues dans un même pays, qu’elles soient toutes parlées et reconnues comme telles. C’est une règle universelle. Paradoxe de la République Française, elle milite, pour exiger des autres Etats, qu’ils respectent les droits linguistiques des minorités. Mais elle doit l’appliquer sur son territoire. Troisième exemple, la fiscalité qui est, on le sait, chez nous, particulière au titre des successions. Une loi précédente a souhaité nous aligner sur le droit commun. L’alignement des droits de succession de la Corse- la fin des arrêtés Miot- devait être concomitant dans l’esprit de la loi, avec la régularisation de l’ensemble des successions en Corse et le titrage de toutes les propriétés. Malgré les efforts déployés, nous sommes loin du compte. À la demande de l’exécutif, la Collectivité a étudié la question et proposé de transférer la compétence en matière de fiscalité des successions, à la Corse. Saisi, le Conseil d’Etat a précisé que ce n’était pas conforme à la constitution. Là aussi, nous sommes confrontés à un obstacle si nous voulons régler ce problème.
Le gouvernement acceptera-t-il, pour autant, les demandes de la Corse ?
Nous avons besoin de ces règles nouvelles et nous l’affirmons dans une très large majorité. Ce sera un peu délicat, pour l’Etat, de s’y opposer. Les raisons d’un changement institutionnel sont liées à des besoins que nous avons constatés. Ce sont des questions fondamentales. Dans l’état actuel des choses, nous avons besoin, pour répondre à l’intérêt général de la Corse et des Corses, d’avancer dans cette voie. Aujourd’hui, c’est à nous de savoir ce que l’on veut et de le présenter à l’Etat. Et nous aurons plus de force si nos demandes sont claires et consensuelles. On voit, du reste, très bien qu’un consensus se dégage au sein de l’Assemblée, sur un certain nombre de sujets. La loi sur le Padduc a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale et le Sénat, mais, en amont, l’Assemblée de Corse a, elle-même, voté unanimement dans ce sens.
Certains points clé tels que l’évolution institutionnelle, le Padduc ou la langue corse font quasiment l’unanimité au sein de l’hémicycle. N’est-ce pas un signe fort que les politiques ont franchi un palier par rapports à toutes les divergences et les clivages du passé ?
On constate simplement la même évolution que celle que je vous ai décrite précédemment pour les rapports entre l’Etat et la Corse s’agissant des institutions. On est passé d’un stade où l’on recensait les pour, les contre et les modérés, à un stade où l’on discute très clairement et cela a fait avancer les choses. Il y des délibérations sur des sujets extrêmement précis avec de très larges majorités, voire, parfois même, l’unanimité. Je crois que c’est un signe de grande maturité. Peu à peu, sur des grandes questions, il y a la prise en compte d’une grande responsabilité. Et même s’il y aura forcément des divergences, on sent bien, sur des points très importants, que l’on parviendra à établir un large consensus.
Avec l’arrivée du nouveau gouvernement, peut-on être optimiste, à moyen terme, pour la Corse, sachant, de surcroît, qu’avec la Gauche, les rapports ont toujours débouché sur des évolutions ?
Je crois qu’il faut transcender la notion de Gauche et de Droite s’agissant des questions d’institution et de statut. D’abord, parce que si de telles questions touchent à la Constitution, il faut non seulement avoir l’accord de la Gauche mais aussi celui de la Droite. Deuxièmement, je fais référence à l’Abbé Sieyes, un grand constitutionnaliste et homme politique de la Révolution, qui disait : « La majorité est immédiate ; l’unanimité est médiate. » Il voulait dire par là que, dans une République bien ordonnée, on peut avoir une majorité pour ou une majorité contre sur des sujets ordinaires. Mais sur les grandes questions fondamentales, on doit être proche de l’unanimité. Il y a des valeurs telles que la démocratie, la tolérance, l’égalité entre toutes les races, les religions et les cultures, etc, qui sont de l’ordre de l’unanimité. On voit bien, par ailleurs, dans les dispositifs constitutionnels, que pour modifier une loi, la majorité suffit. Pour modifier la loi organique, c’est déjà un peu plus compliqué. Et pour modifier la constitution, il faudra les 3/5 du Parlement, ce qui assez difficile à atteindre. C’est pourquoi, il ne faut pas penser, à mon sens, que ce que l’on fait en matière de statutaire pour la Corse, doit être de Gauche, de Droite ou du Centre. On doit rechercher des questions statutaires pour lesquelles on travaille, ensemble, sur les trente prochaines années. Il faut que cela ne dépende pas d’un changement de gouvernement.
L’Assemblée de Corse fait sa rentrée le 26 septembre. Quels seront les thèmes abordés ?
Nous aurons deux sujets principaux : Le cahier des charges des transports maritimes dans lequel chacun s’étonne qui les orientations de l’Assemblée de Corse aient été suivies, et le budget supplémentaire. Suivront, ensuite, à court terme, un débat sur la langue corse, un débat institutionnel et un certain nombre d’autres thèmes qui seront traités.
Malgré des moyens conséquents mis en œuvre, la Corse reste la région la plus criminogène d’Europe. Que faire ?
L’Assemblée de Corse doit marquer la gravité du moment, c’est ce que nous avons fait auprès du Président de la République. Elle doit, également, travailler, en amont. Cette criminalité est abominable et similaire à ce qui se passe à Marseille ou Grenoble, à l’exception que ce taux est, chez nous, très élevé. Que faire ? Nous n’avons aucune compétence ni aucun pouvoir dans ce domaine. Il appartient aux pouvoirs publics, au ministre de l’intérieur, à la gendarmerie de travailler sur le terrain. On est conscient de la gravité de la situation, nous en avons débattu au sein de l’hémicycle. Nous avons, certes, un rôle qui va un peu plus loin. Les questions de spéculation foncière ne doivent pas servir de prétexte à la violence. C’est la raison pour laquelle nous travaillons très clairement, par diverses voies, pour freiner cette spéculation. Mais la criminalité ne s’arrête pas là. Et il importe à la justice de la réprimer le plus sévèrement possible.
Le Tour de France 2013, de surcroît, la centième édition, partira de Corse. Un sacré coup de projecteur pour l’île, qu’en pensez-vous ?
Je m’en réjouis, d’abord parce que j’y ai beaucoup travaillé. Quand je suis arrivé, il y a deux ans, le projet était latent. Nous avons travaillé pour régler les problèmes pratiques comme le financement, l’hébergement, les transports, la circulation etc. Nous avons fait un film de 5mn qui sera présenté le 24 octobre prochain, à Paris. Mais, en amont, nous avons levé un préalable politique qui consistait à faire délibérer l’Assemblée de Corse à l’unanimité, pour que l’organisation du Tour de France comprenne bien que ce choix était accepté par tous. C’est une fierté, de montrer, à la fois, la Corse au monde, et de faire, en même temps, la démonstration que nous sommes capables d’accueillir un événement de grande envergure.
Enfin, la présence de trois clubs corses dans le football professionnel, ne constitue-t-elle pas, elle aussi, une fierté ?
Oui, même si nous sommes moins impliqués. Encore que, nous avons sauvé le SCB en lui attribuant une subvention de 800.000 euros. Cela lui a permis de se maintenir chez les pros, et, deux ans, plus tard, de retrouver l’élite. Pour l’ACA, nous avons fait des efforts financiers importants afin de permettre l’achèvement des travaux de réfection du stade. À cela, se joint le parcours du Gazelec depuis deux ans, de la CFA à la Ligue 2, c’est très positif et un grand honneur d’avoir trois représentants du football corse dans le giron professionnel.
Interview réalisée par Philippe Peraut