À moins d’un mois du premier tour, le candidat socialiste se rend en Corse. Pour François Hollande, que les derniers sondages ont placé derrière Nicolas Sarkozy au 1er tour, et qui voient, de plus en plus grimper Jean-Luc Mélenchon, cette visite et les meetings auxquels il va participer constituent la dernière ligne droite avant l’échéance du 22 avril. Avec la victoire de la Gauche lors des dernières territoriales, il compte bien remobiliser son électorat insulaire et marquer des points. Entre la visite de Marine Le Pen, la semaine dernière, à Ajaccio, et celle attendue -courant avril- du président sortant, le candidat socialiste entend abattre une carte importante. Dans cet entretien, il présente les grands axes de son programme et expose ses idées sur la politique qu’il entend mener en Corse s’il est élu.
Quel est votre sentiment sur le drame de Toulouse, qui a bouleversé la France ?
À travers cette fusillade, à laquelle on doit ajouter celles de Montauban, c’est la France entière qui est touchée. Nous sommes solidaires et en même temps, nous sommes conscients de ce que le devoir nous appelle à faire. Si je suis appelé à des responsabilités importantes pour notre pays, jamais, je ne devrai oublier ces images. Il y a un drame, une tragédie, une barbarie. Nous savons bien le mouvement de l’actualité. D’autres faits viendront mais nous ne devrons rien oublier ni des causes, ni des assassinats ni des conséquences. Il faut une réponse commune et ferme de la République. Celle qui met les valeurs au-dessus de tout, qui est capable de se rassembler quand il y a un malheur, un drame, une agression. C’en est une, elle touche des enfants, des hommes jeunes, puisque je rappelle les assassinats de Montauban quelques jours plus tôt, une ville, à travers une école, une école dans la République, une école juive. Et donc il y a nécessité, quand une agression se produit, de nous rassembler dans ces moments-là, pour montrer qu’il n’y a pas de place, pas d’espace, pour le doute ou la suspicion, nous devons être tous unis. Il n’y a pas, si souvent, des causes qui peuvent nous rassembler à ce point.
Quel est l’axe prioritaire de votre campagne ?
J’ai fait de la jeunesse l’axe prioritaire de ma campagne, car je suis convaincu que le redressement tout comme le progrès de la France passent par elle. Je veux que les Français retrouvent confiance dans l’avenir, en permettant à chaque nouvelle génération de vivre mieux que la précédente.
Quel point vous paraît-il le plus important à développer ? L’aspect social, le désendettement de la France, sa ré-industrialisation ?
Ces trois objectifs sont concomitants et indissociables. Le désendettement de la France nécessitera des efforts de la part de tous les Français, mais d’abord de la part de ceux qui ont le plus et auxquels le gouvernement sortant a demandé le moins. Ces efforts, les citoyens y consentiront seulement si une certaine cohésion sociale est rétablie au sein de notre pays. Et la maîtrise des comptes publics ne suffira pas, il nous faudra retrouver de la croissance afin de redresser le pays. La ré-industrialisation sera un des piliers de cette politique de croissance.
Comment comptez-vous y parvenir ?
Je reviendrai sur les cadeaux fiscaux et les multiples « niches fiscales » accordés depuis dix ans aux ménages les plus aisés et aux plus grosses entreprises, afin de ramener les finances publiques à l’équilibre en 2017. Toutes les nouvelles mesures prévues par mon programme, pour un montant de 20 milliards d’euros sur la durée du mandat, seront quant à elles financées grâce à des réductions de dépenses et à un financement spécifique, et permettront de redresser la France avec sérieux et ambition.
La Gauche n’est plus au pouvoir depuis 2002. La pensez-vous capable d’opérer un réel changement de politique, de surcroît sur le fond de crise que traverse le pays et, au delà, l’Europe et la planète. Sur quelles bases ? Et quel temps vous donnez-vous ?
Oui, bien sûr que nous pouvons opérer le réel changement de politique qui nous permettra de sortir de la crise. Certes, le redressement de la France ne se fera pas en un jour. Nous ne pourrons pas tout changer immédiatement. Si je suis élu, je prendrai d’abord les mesures d’urgence qui s’imposent, pour redresser nos comptes publics, pour relancer la production et l’emploi. Mais, en cinq ans, je m’engage à relancer la croissance et à redonner du pouvoir d’achat aux Français. Si je ne pensais pas pouvoir y parvenir, je ne serais pas candidat à l’élection présidentielle.
Une union rassemblant la Gauche et les Ecologistes vous paraît-elle possible au second tour ?
J’ai présenté un programme aux Français, je m’y tiendrai. Mais tous ceux qui se reconnaîtront dans celui-ci et qui seront prêts à travailler à sa mise en œuvre seront les bienvenus. En revanche, je tiens à être clair : je ne ferai aucune concession, mon projet n’évoluera en fonction d’aucune union ou d’aucune alliance.
Si vous n’étiez pas au second tour, quelles consignes de vote donneriez-vous ?
Je respecterai notre tradition qui veut que les candidats de gauche défaits soutiennent celui d’entre eux qui parvient au second tour.
Dans votre programme en 60 propositions, vous évoquez, à l’occasion du plan de redressement de la France, la création d’une banque publique d’investissement. Comment comptez-vous la financer ?
La banque publique d’investissement sera financée par la création d’un livret d’épargne industrie qui permettra de mettre à disposition de cette banque 25 milliards d’euros de capitaux propres. Cette banque financera l’investissement et le développement des entreprises dans un contexte d’assèchement du crédit, et simplifiera l’accès au crédit des PME, en proposant un interlocuteur unique dans chaque région.
Quelle sera la politique de la France vis-à-vis de l’Europe ?
Si je suis élu, la première des mesures que je prendrai pour l’Europe sera de renégocier le traité du 9 décembre 2011 afin de le compléter d’un volet pour la croissance et l’emploi. Par ailleurs, je m’engagerai pour une Europe plus démocratique et plus protectrice, en proposant notamment une nouvelle politique commerciale, afin de faire obstacle à toute forme de concurrence déloyale. Je veux également une Europe tournée vers le progrès et l’avenir, c’est pourquoi je défendrai un budget européen au service des grands projets d’avenir et je militerai pour une Europe de l’énergie.
Nicolas Sarkozy avait fait des réformes son plan d’action contre la crise. Qu’en pensez-vous ? Vous évoquez, vous-même, dans votre programme, des réformes, notamment au niveau des retraites, de la fiscalité ou de la santé. Comment comptez-vous les mettre en place ?
Après cinq années de réformes injustes, tant sur le plan fiscal qu’au sujet des retraites, et de fragilisations répétées du service public, l’ampleur du changement qui doit être réalisé est importante et nécessitera de grandes réformes. Afin de les mettre en place de la manière la plus juste, la plus appropriée, et la plus efficace possible, l’Etat consultera toutes les parties concernées lors de la préparation des réformes. Pour bien décider, il faut savoir écouter. J’attacherai donc du prix, et du temps, à la concertation et au débat sur les grandes questions. En revanche, avant même l’ouverture des négociations sur la réforme des retraites que j’engagerai, je rétablirai le droit de partir à la retraite à taux plein à 60 ans pour les personnes qui ont cotisé toutes leurs annuités.
Le président sortant avait également souhaité renforcer la sécurité sur le territoire en mettant les moyens. Quelle politique envisagez-vous, en matière de justice et de sécurité du territoire ?
L’insécurité est une injustice sociale intolérable : elle touche les plus fragiles et les plus modestes. La sécurité doit être un droit et je le ferai respecter. A ce titre, j’instaurerai des zones de sécurité prioritaires là où il y a les taux de délinquance les plus élevés, je créerai chaque année 1000 postes supplémentaires dans la justice, la police, et la gendarmerie, et je veillerai à rapprocher les forces de l’ordre des citoyens.
Les lois concernant la décentralisation ont changé depuis trente ans. Vous évoquez, pour votre part, une nouvelle étape. Laquelle ? Comment comptez-vous la franchir ?
Depuis cinq ans, les collectivités sont malmenées, leur autonomie financière est affaiblie. Il est urgent de reconstruire une relation de confiance entre l’État et les collectivités. J’engagerai donc un nouvel acte de la décentralisation, qui définira les missions et les compétences de chacun, du sommet de l’État à tous les acteurs territoriaux. Dans leurs domaines de compétence, la responsabilité et l’autonomie des collectivités locales seront renforcées. Celles-ci pourront notamment, dans les cas prévus par le législateur, adapter les lois aux spécificités des territoires, par voie réglementaire. Il est temps de faire confiance à l’intelligence territoriale pour offrir aux citoyens un service public plus efficace.
Irait-on vers une réforme de l’Etat et, par là même, de la Constitution ?
Ce nouvel acte de la décentralisation participera de facto à la réforme de l’Etat car en définissant préalablement la mission fondamentale de chacun des niveaux, il permettra plus de clarté, d’efficacité et de justice dans le fonctionnement de l’Etat.
Vous avez évoqué la réforme du statut du chef de l’Etat. En quoi consiste-t-elle ?
La seule justification du statut pénal du chef de l’Etat est de permettre au président de la République de conduire le pays sans crainte d’action intempestive. Toutefois, personne ne doit être au-dessus des lois et ne doit pouvoir s’exonérer des devoirs imposés à chaque citoyen. Tel sera le sens de la réforme du statut du chef de l’Etat que nous engagerons.
Venons-en à la Corse. Quelles seront vos priorités dans cette région ?
Mes priorités nationales s’appliquent évidemment à la Corse. Mais il y a ici une situation spécifique, dont il faut tenir compte. D’abord, la Corse subit la crise économique de plein fouet : le taux de chômage y est très élevé, la vie y est chère, la précarité grandit… Il faut donc contribuer, en coopération avec la Collectivité Territoriale de Corse, au développement économique et social de l’île et rattraper, grâce à la poursuite du programme exceptionnel d’investissement qui avait été lancé par Lionel Jospin, les retards en équipements structurants. Ensuite, je voudrais insister sur une question majeure, qui touche tous les Corses et tous les habitants de l’île : ils ont le sentiment, justifié, d’un grand retard d’équipement et de moyens dans le domaine de la santé publique. Nous sommes dans le temps des promesses, et la majorité actuelle propose tout ce qu’elle n’a pas fait depuis 10 ans : qui peut la croire ? Pour ma part, je fixe pour la Corse une grande priorité : renforcer les moyens affectés à la santé publique, pour tous les territoires sanitaires de l’île.
Avec un taux de criminalité très élevé en ce qui concerne le grand banditisme, la Corse paye un lourd tribut et son image de marque en pâtit. Comment y remédier et favoriser le développement économique de l’île ?
Il faut lutter contre toutes les formes de violence qui gangrènent la Corse depuis trop longtemps. Le taux de criminalité est trop élevé, le taux d’élucidation trop faible. Il appartient à l’Etat de faire cesser les dérives du grand banditisme : il doit donc y mettre les moyens. Ce n’est pas seulement, pour la Corse, une question d’image. C’est assurément l’une des conditions - pas la seule - pour relancer le développement économique dont l’île a besoin pour retrouver confiance et espérance.
Vous vous êtes déclaré favorable à la signature de la charte des langues minoritaires sur tout le territoire, ce qui n’est pas le cas de tous les candidats. Comment envisagez-vous de développer l’enseignement de la langue et de la culture corses ? Êtes-vous favorable à la co-officialité de la langue corse ?
La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été adoptée sous les auspices du Conseil de l’Europe, afin de protéger et de favoriser les langues minoritaires, et finalement la diversité culturelle en Europe. La France a signé ce texte en 1999, mais elle ne l’a jamais ratifié. Notre pays s’érige souvent en défenseur implacable et intransigeant de la diversité culturelle chez les autres, mais, parallèlement, il prohibe sur son sol le rayonnement de sa propre pluralité. C’est une attitude incongrue et hypocrite à laquelle je veux mettre fin. Il faut arrêter de brandir comme des épouvantails des vecteurs de rayonnement culturel et d’apaisement politique et social. A partir de là, toutes les régions qui le souhaiteront - et, ici, la Collectivité Territoriale de Corse - pourront initier des programmes plus ambitieux de développement de leur langue et de leur culture. L’Etat agira en partenaire. Il faut une nouvelle impulsion pour en finir avec une sorte d’exception française en Europe. Je suggère à chacun de relire les pages inoubliables de Jean Jaurès sur les langues régionales !
Vous prononceriez-vous, le cas échéant, et comme le demandent certaines associations, en faveur d’une modification de la constitution afin que la République reconnaisse, protège et promeuve la diversité des langues de ses territoires et les droits de leurs locuteurs ?
L’amendement constitutionnel qui a permis en 2008 l’insertion dans notre loi fondamentale de l’article 75-1 qui précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » est un progrès, certes, mais cela reste insuffisant. Le Conseil constitutionnel a rendu, le 15 juin 1999, une décision qui nous oblige, pour ratifier la Charte, à une nouvelle modification constitutionnelle. En me prononçant pour cette ratification, j’assume cette conséquence nécessaire : il faudra réviser la Constitution.
Songeriez-vous à une éventuelle extension des pouvoirs de l’Assemblée de Corse vers une autonomie encore plus poussée ?
D’abord, il faut rappeler que tous les grands progrès de la décentralisation, en Corse comme ailleurs, ont été réalisés par la gauche en situation de responsabilité : en 1981-1982 avec le statut particulier et la création de l’Assemblée de Corse, en 1991 avec Pierre Joxe, sous l’impulsion de François Mitterrand, comme en 2002 avec Lionel Jospin. Il va de soi que la Corse tiendra une place spécifique, comme toujours, dans le nouvel acte de la décentralisation que j’entends mener à bien. Je suis avec beaucoup d’attention et d’intérêt les travaux menés au sein de la Collectivité Territoriale de Corse pour proposer des pistes nouvelles d’évolution institutionnelle adaptées à la situation d’aujourd’hui. Le moment venu, ce travail et les propositions qui en émaneront devront faire l’objet d’un examen attentif et coordonné entre les pouvoirs publics et la représentation élue de la Corse.
Beaucoup, en Corse, dénoncent les pratiques des juridictions d’exception telles que la JIRS. Quelles mesurent prendrez-vous concernant la justice ? Les justices dites d’exception seront-elles maintenues ?
La police et la justice doivent retrouver confiance et crédit. J’ai affirmé sans relâche l’absolue nécessité de l’indépendance de l’autorité judiciaire, si souvent mise à mal. C’est un engagement politique et moral, que je tiendrai. D’une manière générale, je préfère une justice sereine à une justice d’exception.
Quel message souhaitez-vous faire passer aux Corses, à l’occasion de votre visite ?
Ici comme ailleurs, un message de confiance et d’espoir, en particulier à la jeunesse. La Corse ne manque pas d’atouts. Mais elle a besoin de considération et de reconnaissance : la reconnaissance de son identité culturelle, forgée par sa géographie et son histoire, celle de ses handicaps, liés à l’insularité. Il est possible de faire de cette île, belle entre toutes, un modèle de développement durable susceptible de rayonner pour la France et pour l’Europe dans toute la Méditerranée, en coopération avec ses élus, ses entrepreneurs, sa jeunesse, son université et ses associations.
Interview réalisée par Philippe Peraut