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L’invité : Dominique Bucchini, président de l’Assemblée de Corse

jeudi 24 mai 2012, par Journal de la Corse

Dominique Bucchini a traversé et traverse encore, la tête haute, l’espace politique corse depuis l’avènement de la Ve République. Communiste de conviction il a porté les couleurs du PCF dans le département de la Corse-du-Sud et plus particulièrement dans la 2e circonscription électorale de ce département ayant été, tout au long de plusieurs mandats, maire et conseiller général de Sartène, « la plus corse des villes corses » à qui il a donné encore plus de spécificité, de modernité, et de convivialité. Sartène qui a été aussi, avec lui, un épicentre de démocratie. On retiendra qu’avant d’accéder à la présidence de l’assemblée de Corse, suite à l’arrivée de la Gauche au pouvoir régional, il avait dû entamer une longue traversée du désert sans que soit un instant altérées sa volonté, sa pugnacité, sa permanence de l’effort et sa constance dans la fidélité. On pourra se souvenir aussi qu’il a assuré, sans la moindre suffisance, un mandat de député européen au cours duquel il a, à maintes reprises, dénoncé les carences économiques de la Corse et l’urgence de les combler. Un mot encore pour souligner ses qualités humaines faites de compréhension, de dialogue, de respect de l’autre et d’attachement indélébile à sa terre. « A noscia tarra » comme il dit si bien.

François Hollande a été élu président de la République qu’elle est votre appréciation après cet événement historique qui ne s’était plus produit depuis la réélection de François Mitterrand en 1981 ?

L’élection du premier Président de gauche après près d’un quart de siècle m’a procuré une grande joie. Au sortir de cinq années marquées par une agression systématique des acquis sociaux, des travailleurs, des jeunes, des plus fragiles, cette victoire a procuré un soulagement. La tournure xénophobe, aux relents pétainistes de la campagne du candidat sortant a créé une ambiance pesante et le résultat a apporté une vague de fraicheur. Trop de commentaires tendent à ramener la défaite de Nicolas Sarkozy au rejet de sa personnalité, de la manière dont il a exercé la fonction présidentielle ; là n’est pourtant pas l’essentiel ; c’est bien le « Président des riches » qui a été sanctionné, sa politique à la fois ultralibérale et autoritaire. Les électeurs ont clairement exprimé leurs attentes prioritaires : réduire le chômage et les inégalités sociales. Un des faits majeurs de cette élection, est que la gauche a retrouvé le soutien des ouvriers, de l’ensemble des salariés. La campagne conduite par Jean-Luc Mélenchon avec le « Front de gauche » autour du programme « l’humain d’abord » a été déterminante dans cette reconquête. Grâce au Front de gauche, le débat d’idées a retrouvé place au cœur de la politique. Des gens de gauche, qui s’étaient éloignés de toute politique sont revenus dans les meetings et les manifestations ; beaucoup de jeunes ont été sensibles à la clarté des arguments portés par Jean-Luc Mélenchon. Croyez-moi, le Front de Gauche est en train d’acquérir une influence dont son score – excellent mais amoindri par le fameux « vote utile » - ne rend qu’imparfaitement compte.

Qu’attendez-vous désormais ?

L’élection présidentielle a modifié la scène politique, avec d’une part l’affaiblissement de l’UMP et la progression de l’extrême droite, d’autre part un progrès de la gauche dans son ensemble et, au sein de celle-ci, la progression sensible du Front de Gauche qui renforce les positions progressistes face aux marchés financiers ; en même temps, le danger représenté par l’extrême-droite – non seulement à cause de son score mais aussi du fait de l’inoculation de ses thématiques dans une partie de la droite « traditionnelle » - ne doit pas être sous-estimé, en Corse moins qu’ailleurs. L’orientation politique qui sera prise sera cruciale : de l’attitude face aux marchés financiers dépendra la capacité à prendre en compte les aspirations populaires légitimes et à repousser le danger de l’extrême droite La forte attente manifestée dans cette élection ne doit pas être déçue. Il faudra répondre aux urgences sociales en prenant des mesures immédiates pour les salaires, le logement, la relance du pouvoir d’achat, contre le chômage ; la gauche devra stopper la casse des services publics, s’opposer aux plans sociaux et aux délocalisations d’entreprises, réindustrialiser le pays. Il est essentiel de négocier un traité européen basé sur la croissance et non sur l’austérité que les droites européennes entendent imposer aux peuples par tous les moyens, y compris au déni de la démocratie et de la souveraineté des nations.

Vous portez la voix du Front de Gauche et du PCF dans la 2ème circonscription de la Corse du Sud où la droite est arrivée en tête comme du reste dans toute la Corse. Gardez vous l’espoir d’inverser la tendance ?

Chaque élection a sa logique et ses paramètres, tout en s’inscrivant dans un contexte général exerçant un effet plus ou moins grand. En l’occurrence, le contexte est marqué par le changement qui vient de s’opérer le 6 mai dernier : la victoire de la gauche, l’élection d’un Président de la République socialiste. Le rejet de Nicolas Sarkozy risque fort de se répercuter sur le député sortant, déjà fragilisé par les récents scrutins – territorial et cantonal - et dont la proximité, amicale et idéologique, avec l’ex-Président n’est certainement plus un atout. Il y a, dans cette circonscription, des hommes et des femmes qui souffrent des conséquences de la crise et des politiques d’austérité et qui supportent de moins en moins ce « contre-développement » local généré par la prédominance excessive du tourisme saisonnier et l’économie résidentielle, qui refusent la fracture – sociale et territoriale - grandissante entre quelques ilots de profit littoraux et l’intérieur vieillissant et paupérisé. Avec Viviane Biancarelli, nous entendons incarner la possibilité d’un changement et prolonger ici la dynamique de la Gauche.

La gauche dirige la région depuis deux ans pourtant la droite et l’extrême droite y réalisent des scores impressionnants n’est-ce pas un paradoxe ?

Nous sommes à la tête de la Collectivité Territoriale après 26 ans de gouvernance libérale ! Nous avons entrepris avec détermination des chantiers nombreux et difficile et les premiers résultats sont là. Dans cette majorité, à l’assemblée comme à l’exécutif, les élu(e)s communistes et citoyens du Front de gauche s’investissent pleinement, et l’on peut citer les domaines de l’énergie, de la santé, du logement et l’élaboration du PADDUC. Nous devons continuer – à notre échelon de compétence et dans le cadre de la solidarité nationale - à prendre en compte les besoins sociaux. Certes Sarkozy est majoritaire en Corse, mais il perd près de 5.000 voix par rapport à 2007, alors que Hollande en gagne 7.939 par rapport à Ségolène Royal. Déjà, au premier tour, le recul de Nicolas Sarkozy était supérieur à la moyenne nationale (-5,6 contre -4) même s’il « limitait la casse » précisément dans la circonscription. Dans le même temps, les représentants de l’ancienne « Gauche plurielle » gagnent 16.198 et 8,83%. Ces gains sont dus à Hollande, mais surtout à Mélenchon qui obtient 10.679 voix et 6,49% de mieux que Marie-Georges Buffet en 2007. Dans ma circonscription, le « PS » progresse de 2,31% et le « FG » de 6,39% (2.496 voix). Si la Droite est toujours devant, on ne peut pas occulter la progression de la gauche dans son ensemble et du Front de Gauche en particulier ; je pense que cette progression n’est pas conjoncturelle mais s’inscrit dans une tendance.

La Corse était absente du débat de la présidentielle selon plusieurs candidats aux législatives qui entendent porter lors de ce scrutin le message de l’évolution institutionnelle qu’en pensez-vous ?

Il est vrai que « la question institutionnelle » n’a pas occupé une place notable dans les débats (au demeurant – mais cela dépasse la Corse- notre candidat portait l’idée de la « 6ème République » avec des avancées démocratiques considérables). Les préoccupations des Corses, dans cette campagne, portaient essentiellement, comme dans le reste du pays, sur l’emploi, le logement, le pouvoir d’achat, la santé ou l’éducation et c’est à celles-ci qu’il convient prioritairement d’apporter des réponses. C’est sur ces questions que se joueront les législatives et c’est pourquoi les candidatures nationalistes, axées sur la réforme institutionnelle, me paraissent déconnectées des attentes exprimées aux deux tours de la Présidentielle.

(Interview réalisée par Jean-Noël Colonna)

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