Sauveur Merlinghi, médecin généraliste, est aux commandes du comité départemental de la Ligue contre le cancer depuis avril dernier. Avec la prévention comme leitmotiv, il nous dévoile ses missions ainsi que celles de la Ligue au niveau national. Tout en mettant en exergue l’évolution de la lutte contre la maladie.
Vous êtes président du comité départemental de la Ligue contre le cancer. En quoi consiste votre mission ?
Les missions de La Ligue sont d’ordre national, avec une implication départementale. Il existe 103 comités en France et tous travaillent à partir d’une priorité : le malade. Il est le centre de nos attentions. À cet effet, notre mission consiste à agir dans la prévention, à travers le dépistage, qui constitue notre priorité, diverses autres actions ou l’aide aux malades.
Comment ces actions, se traduisent-elles sur le terrain ?
La Ligue est là pour aider le malade à plusieurs niveaux. Son accompagnement reste au centre de nos préoccupations. Nous travaillons de manière psychologique par la création d’un groupe de paroles. Une psychologue, attachée à la ligue, vient une fois par semaine, réunit les malades et leur permet de s’exprimer sur leur maladie. Cette approche leur permet d’être plus à l’aise face à la maladie, sans tabou. Pour ce qui concerne le soutien financier, on élabore un dossier, en collaboration avec des assistantes sociales. Il est, ensuite, examiné, dans le strict respect du secret professionnel, par une commission spécialisée de la Ligue qui attribue, si tout concorde, une aide financière pouvant aller jusqu’ à 800 euros. Enfin, nous mettons en place des points infos cancer à Sartène, Propriano, Bonifacio, Porto-Vecchio, Ajaccio et Cargèse. L’objectif est d’apporter les renseignements aux personnes souffrant de la maladie ou à leurs aidants. Dans toutes nos démarches, nous pouvons apporter des réponses.
D’où proviennent ces fonds ?
La Ligue contre le cancer est une association loi 1901, elle n’a donc pas vocation à faire des bénéfices. Tous les fonds récoltés proviennent essentiellement de dons et de legs. Nous avons, en Corse, un budget de l’ordre de 300.000 euros annuels. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place diverses actions pour récolter des fonds qui sont, ensuite utilisés dans la lutte contre la maladie. Il faut savoir qu’en Corse, on est souvent très surpris. Les gens donnent parfois beaucoup et restent dans l’anonymat le plus total. On n’imagine pas ce qu’ils font. C’est énorme. Une pharmacienne nous a fait un legs d’une valeur de 900.000 euros qui ont servi pour la création de six appartements thérapeutiques au Stiletto. Ils sont mis à la disposition de malades dont l’état nécessite une chimiothérapie sans passer par l’hospitalisation. Par ailleurs, des personnes à qui nous avons apporté, à un moment, une aide, nous contactent pour un don en guise de remerciement mais cela se fait en toute discrétion.
Existe-t-il des risques de détournements tels que ce fut le cas avec l’ARC ?
La ligue a une organisation rigoureuse. Chaque don fait l’objet d’un reçu, il est ensuite répertorié sur un logiciel spécifique, tout est repris minutieusement. On connaît exactement l’état de nos finances, dépenses, rentrées, au centime près. Le budget national représente 40 millions d’euros et cela nécessite une grande rigueur. Il faut répertorier, examiner, informatiser, gérer. Il y a, en outre, des personnes qui ont une certaine autorité en médecine ou en université. Ils sont là parce qu’ils ont fait le choix d’être présents sur un sujet aussi important. Chaque euro récolté est reversé pour le malade, que ce soit dans la recherche ou dans la lutte contre la maladie.
Comment la Ligue est-elle structurée aux niveaux national, régional et départemental ?
Partout, elle est essentiellement composée de bénévoles qui donnent de leur temps et de leur personne. Quelques médecins mettent leur savoir, leur expérience et leur travail au service de chacun des comités. C’est nécessaire et c’est aussi le prolongement de notre activité. Quand on choisit d’être médecin, c’est pour se mettre au service des autres. Au niveau national, la structure emploie 80 salariés et gère un budget conséquent (38,6 millions d’euros en 2011 NDLR). En Corse, nous avons environ 4.000 personnes qui apportent leur contribution à cette démarche, dont 3.000 en Corse-du-Sud et 1.000 en Haute-Corse qui vient de redémarrer. Florence Santini préside le comité de Haute-Corse et moi-même celui de Corse-du-Sud depuis avril 2012.
Quelles actions préventives comptez-vous mettre en place à court terme ?
Nous travaillons, en connexion avec le comité de Haute-Corse, sur la mise en place prochaine du dépistage génétique des cancers. Ce projet, qui vise à améliorer le dépistage du cancer, par le conseil génétique, est porté par le professeur Eisinger, de l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, avec d’autres médecins parmi lesquels les docteurs Alfonsi à Bastia et Versini à Ajaccio. Des consultations avancées à Ajaccio, Sartène, Bonifacio, Corte, Calvi, Bastia vont favoriser un type de dépistage beaucoup plus pointu et plus axé sur le risque. Car les risques ne sont pas les mêmes selon le cancer. D’où la nécessiter de cibler, grâce à la génétique, les personnes qui sont en sur-risque. Cette démarche a fait l’objet d’un travail répertorié qui sera présenté fin novembre. Ce projet est évalué à 150.000 euros financés, sur trois ans, par les ligues de Corse-du-Sud et de Haute-Corse, à raison de 50.000 euros par an.
Travaillez-vous avec d’autres associations caritatives telles que la Marie Do ?
Notre approche n’est pas du tout la même. Ce type d’association effectue un travail respectable avec des bénévoles qui s’investissent sur le terrain et qui parviennent, grâce à des actions, à récolter des fonds importants. On n’est pas dans cette logique. Le côté festif, en soi, ne me dérange pas, l’image du malade que l’on en donne et l’effervescence qu’il y a autour me gênent, en revanche, beaucoup. C’est un sentiment personnel mais j’ai une éthique, une morale et le plus grand respect du malade. Récolter des fonds et les reverser ensuite dans la lutte contre la maladie, est quelque chose de louable mais chacun a ses méthodes. On ne connaît pas la détresse de l’humain tant que l’on n’a pas été au contact de ces gens-là. Le coté spectacle peut être utilisé mais il ne doit pas déborder sur le malade.
Ou en est le combat contre la maladie aujourd’hui ?
On a fait de gros progrès puisque l’on soigne, aujourd’hui, un cancer sur deux dans la masse. Pour autant, on n’est jamais vraiment guéri. On est en rémission et quand elle est supérieure à cinq ans, on peut parler de guérison même si elle n’intervient jamais en totalité car les thérapies sont très fortes et laissent des traces au niveau de l’organisme. C’est pourquoi il est primordial de travailler en priorité, sur la prévention. À titre d’information, le cancer est le fléau numéro un dans le monde. Il tue beaucoup plus que le sida et le paludisme réunis. Rien qu’au niveau du tabac, il représente 18.000 morts par jour dans le monde et 70.000 morts par an au niveau national. En Corse, sur 2.900 décès par an, près de 800 sont dus au cancer dont 500 au tabac. En outre, un décès sur huit, à l’échelle mondiale, est dû au cancer. Sachant que 12 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année, nous aurons, en l’absence de mesures appropriées, des chiffres alarmants d’ici peu.
En quoi consisteraient ces mesures appropriées ?
Elles touchent à l’environnement. Il faut mettre un frein à ce qui touche à l’industrie, aux OGM ou à la pollution. Le cancer est une maladie qui se fabrique dans le temps. Les accords de Kyoto prévoient de diminuer la pollution mais on en encore loin. Le réchauffement climatique, la pollution, le tabac ou l’alimentation sont autant de risques de développement de la maladie.
Comment travailler en amont afin de sensibiliser les gens ?
En étant préventif. Le bon malade, c’est celui qui ne l’est pas. La prévention commence, pour ma part, dans mon cabinet quand je dis à mes patients : arrêtez de fumer, ayez une alimentation saine. Eliminer la cigarette me paraît être la priorité majeure mais elle n’est pas tout. Le nombre des cancers s’est multiplié à partir du moment où on a eu des facteurs exogènes qui sont la pollution et l’industriel. Et en Corse, la pollution est importante.
Interview réalisée par Philippe Peraut