En plein cœur de l’hiver, la campagne 2011-2012 des "restos du cœur" affiche des pics inquiétants. Sur un fond de crise sociale, il est vrai que les populations les plus démunies semblent encore plus vulnérables. Comme chaque année depuis 2003, les nombreux bénévoles des "restos du cœur" sont à pied d’oeuvre dans le département de la Corse-du-Sud. Objectif, fournir, à quelque 2500 personnes, une aide alimentaire, vestimentaire sans omettre, à travers un regard, quelques mots ou un geste, un peu de chaleur humaine et quelques instants de bonheur. Président de la structure depuis 6 ans, Bernard Achard évoque le travail effectué par les bénévoles. Plus qu’une vocation, un véritable sacerdoce...
"Les restos du cœur sont implantés en Corse-du-Sud, depuis 2003. Comment la démarche a t-elle été initiée ?
L’origine remonte à 2001. À l’époque, Jacques Vankershaver, adjoint de Rolland Courbis à l’ACA avait mis en vente, au cours d’une réunion qui s’était déroulée au palais des Congrès, des maillots au profit des restos du cœur. Le problème, c’est que la structure n’existait pas dans le département. Il est donc monté sur Bastia mais l’idée a fait son chemin à Ajaccio où Ange Pantaloni, adjoint au maire, avait évoqué une telle possibilité. Il a ensuite fallu trouver des personnes susceptibles d’être intéressées, bénévolement, par une telle démarche. Une bande de copains capable de gérer la structure et disposant du temps de libre nécessaire. Car cette structure demande un investissement humain très important. J’étais, personnellement, à la retraite. J’ai songé à m’investir socialement. Nous étions cinq ou six au départ autour de Christian Cardi, premier président. Le concept s’est progressivement développé. Nous sommes, aujourd’hui, 280 bénévoles répartis sur l’ensemble du département.
La campagne 2011-2012 a débuté le 29 novembre dernier. Nous sommes en plein cœur de l’hiver. Comment se présente t-elle ?
Au niveau de l’organisation, elle se présente bien. On a, malheureusement 6 à 7% d’inscrits en plus par rapport à l’an dernier. On s’est aperçus, au niveau national, que l’on avait moins de dons que l’an dernier à pareille époque pour un nombre d’inscrits à la hausse. Il manquait donc, à l’arrivée, 5 millions de repas, donc 5 millions d’euros. Ici, à notre échelle, les caractéristiques sont quelque peu identiques. C’est donc un peu plus difficile même si nous avons des aides, notamment du Conseil Général, des mairies, de particuliers, des grandes surfaces et bien sûr, le partenariat avec l’ACA qui fonctionne très bien. Tant bien que mal, nous parviendrons à boucler notre budget (65000 euros) et remplir notre mission au cours de l’hiver 2011-2012.
Vous avez évoqué un nombre d’inscrits à la hausse. À quoi l’attribuez-vous ?
Je crois que l’on peut dire, d’une manière générale, que la précarité est en hausse dans l’île et ce n’est pas une nouveauté. Les gens qui bénéficient du RSA, les chômeurs ou encore les SDF, sont là depuis 2003. C’est une population qui se stabilise. Mais nous avons, aujourd’hui, l’émergence d’une autre population. Ce sont des gens comme vous et moi, ayant une activité professionnelle, une famille à faire vivre et qui n’arrive pas à boucler les fins de mois. Avec un salaire légèrement au-dessus du SMIC, compte tenu du coût de la vie, et notamment en matière de logement, ce n’est évident pour cette catégorie de personnes. Des SDF, il y en aura malheureusement toujours même s’ils sont en baisse. On arrive à gérer car ils se débrouillent, passent d’une association à l’autre, etc. Pour cette population qui travaille, le constat est beaucoup plus délicat. Ils n’ont, bien souvent, pas d’aides et ne parviennent pas à sortir de cette situation.
Bénéficiez-vous d’aides de la grande distribution ?
Nous n’avons pas de partenariat officiel mais la relation fonctionne plutôt bien. Un jour sur deux, l’une d’entre elles nous livre des denrées alimentaires. Une autre fournit le pain. Avec les autres grandes surfaces, nous effectuons des opérations "caddies", notamment à l’approche des fêtes de fin d’année. Ils nous donnent également des palettes de produits alimentaires.
Comment fonctionnez-vous les restos ?
Nous avons un centre à Ajaccio depuis 2003 suivi par un autre à Porto-Vecchio (2006) et Propriano (2007). Enfin, nous avons mis en place un centre rural, c’est un camion qui parcoure ponctuellement toutes les zones rurales. Parce que la précarité ne s’exerce pas qu’en ville. Nous préparons les colis à Ajaccio et desservons, ensuite, grâce à un relais avec l’ADMR, l’ensemble des microrégions. Au niveau de la fréquentation, nous avions 1055 familles, ce qui représente 2300 personnes, l’an dernier, un chiffre à la hausse puisque nous avons plus de 2450 personnes cette année pour plus de 200000 repas qui seront, au total, distribués.
Peut-on remédier à la hausse de la précarité ?
Ce n’est pas tellement notre rôle d’apporter des solutions. Nous travaillons, en aval, sur ses conséquences et peu sur les causes ce qui ne relève pas de notre domaine. On essaie, à notre niveau et en fonction de nos moyens, de réinsérer les gens en leur apportant une aide alimentaire, vestimentaire, en leur trouvant un travail ou en leur apprenant à rédiger un CV. Quant à remédier à ce problème, l’Etat devrait y songer mais il préfère, sans doute, se reposer sur des associations comme la nôtre...
Finalement, être bénévole aux "Restos du cœur", c’est une véritable vocation ?
Il faut savoir donner de son temps sans rien attendre en retour. Notre mission est multiple. Elle s’apparente même à une forme d’aide sociale. Et ce n’est pas tous les jours faciles. Il y a, parfois, des instants d’une rare intensité sur le plan émotionnel. Le fait de voir les gens affluer nous touche profondément.
Vous êtes partenaires de l’ACA. Comment fonctionne t-il et qu’en pensez-vous ?
C’est un échange. Le logo des restos du cœur figure sur les maillots des joueurs. En contrepartie, le club nous reverse 1 euro par place vendue sur chaque match à domicile. Ensuite, il s’engage à embaucher des bénéficiaires en tant que stadiers. Cela donne un coup de main aux gens en difficulté. L’an dernier, ce partenariat a rapporté 14000 euros. Cette année, nous en sommes déjà à 15000 euros, ce qui représente, à un peu plus de la moitié du championnat, un quart de notre budget annuel. C’est une très bonne chose dont nous sommes, bien sûr, très satisfaits. Nous avons, en décembre dernier, une opération "caddies" avec quelques joueurs qui se sont impliqués totalement. C’est encourageant. À un tel point que l’on songe à mener des actions au niveau national. Quant on voit les salaires versés, les budgets de certains clubs et les capacités de leur stade, on se dit que si cette démarche (un euro pas place vendue) s’étendait, ne serait-ce qu’une fois de temps en temps, à tous les clubs, ce serait un sacré coup de pouce pour les restos. C’est un peu tôt cette année, mais nous espérons parvenir, l’an prochain, à une journée de championnat, L1 et L2, au profit des restos du cœur.
Vous êtes responsable de la structure depuis 2006. Songez-vous à passer la main ?
Je compte passer le flambeau en septembre prochain et ce sera une femme. J’ai pris la succession de Christian Cardi en 2006. Je suis président depuis cette date et cela nécessite un investissement important. Il faut être présent sur le terrain, au bureau et dans toute la partie administrative, chercher les sponsors, les subventions. Des gens s’occupent de l’approvisionnement, d’autres de la trésorerie et d’autres encore de la comptabilité. Le président, lui, doit gérer l’ensemble. Il y a, derrière moi, des personnes très capables qui ont peut-être d’autres idées à développer. Et puis je resterai au sein de la structure.
Pourrait-on avoir, un jour prochain, les "enfoirés" en Corse ?
Non ! D’abord parce qu’il n’y pas de salle. L’an dernier, c’était à Montpellier, dans une salle de 12000 places. Ensuite parce qu’ils donnent sept représentations sur une semaine. Nous n’avons pas une telle structure dans l’île et surtout pas assez de monde pour remplir. Il faut savoir que les enfoirés font le plein chaque année, lors des sept représentations, ce qui donne un total de 84000 personnes sur une semaine. C’est énorme et trop pour la Corse. Et il serait impossible de modifier la date puisqu’ils donnent leurs concerts, chaque année au mois de février, en plein cœur de la campagne.
Interview réalisée par Philippe Peraut