Raphaël Vallet
« On veut gérer la police comme un produit »
Le secrétaire départemental du syndicat Union-SGP-Police-Fo revient sur les difficultés rencontrées au quotidien par son commissariat d’Ajaccio, comme les autres, à l’heure où la police est perçue comme un produit qui doit être rentable et efficace.
Un des reproches formulés à l’encontre de la police repose sur la non-résolution des enquêtes. Souvent, on entend « Mais que fait la police ? ».
Le travail est fait consciencieusement et le taux d’élucidation le prouve : 100%. Ça signifie qu’il y a eu autant de faits commis, même s’il s’agit des faits antérieurs, que de faits élucidés. Mais ça ne signifie pas non plus qu’un dossier policièrement élucidé soit terminé. Nous avons toujours besoin de plus de personnes, nous aurions de quoi faire en police judiciaire comme en sécurité publique pour un effectif supplémentaire. Mais de toute façon nous n’avons pas les locaux pour les accueillir !
Quel jugement portez-vous sur l’arrivée place Beauvau de Claude Guéant ?
Le ministre est quelqu’un qui connaît bien son métier, qui a toujours été dans la police. Il est donc conscient des problèmes. Nous ne portons aucun avis défavorable le concernant. Après on avisera selon ses capacités financières pour travailler.
Votre nouveau ministre de tutelle a annoncé qu’il allait remettre des policiers dans la rue. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
On n’aurait jamais du les enlever ! Il y a beaucoup de gesticulation depuis des années à ce sujet. Nous sommes certes ravis de ce projet mais nous n’en connaissons pas encore les contours. Qui seront ces hommes ?Ceux qui sont dans les bureaux ou de nouveaux policiers recrutés ? Des emplois jeunes ? Nous sommes actuellement en phase de déflation de l’effectif des fonctionnaires de police donc chaque poste est occupé pour faire tourner la machine. Les emplois jeunes peuvent intervenir en renfort mais comme ils ne bénéficient pas de la même formation, ils ne pourront jamais remplacer un fonctionnaire titulaire. S’il s’agit d’un recrutement massif, il nous faudra attendre une année, le temps de leur formation. L’objectif pour nous est que définitivement tout le monde se rende compte que c’est important d’avoir des policiers dans la rue.
Pourquoi considérez-vous cette présence dans la rue comme indispensable ?
En matière de dissuasion, qui est également une forme de prévention, les patrouilles de policiers dans la rue joue un rôle fondamental. Une présence effective policière sur le terrain permet une continuité du travail et une meilleure connaissance des gens, du secteur. A force d’enlever les fonctionnaires de la voie publique et de les mettre dans une partie moins visible, on a coupé la police de la population. Nous avons perdu ce côté prévention et relation de confiance. Nous sommes entrés dans un systématisme procédural, l’activité principale des policiers aujourd’hui repose quasiment que sur la constatation des faits. Notre principal travail est de les élucider et non plus de les prévenir. Et on oublie les victimes. Comme on enlève les fonctionnaires du terrain on enlève notre potentielle capacité d’éviter qu’il y ait des victimes. C’est l’essence même de notre mission : protéger la population. Sauf que cette activité n’est pas quantifiable et nous sommes dans un système qui considère la police comme un produit qui doit être rentable. Dans les villes où la délinquance diminue, on retire du personnel alors que c’est justement la présence policière qui a permis la baisse des infractions. On veut gérer la police comme un produit.
En janvier, vous aviez rencontré le président de l’Assemblée de Corse, Dominique Bucchini, et le préfet de Corse, Stéphane Bouillon, pour leur faire part des difficultés à exercer votre travail correctement dans les commissariats. Qu’en est-il presque trois mois après ?
Nous avions obtenu du préfet un avis favorable pour un renfort de fonctionnaires de police sur la Corse qui doit être validé par l’ensemble de la hiérarchie. Il s’agirait de huit personnes à Bastia et huit à Ajaccio. Le coordonnateur de la sécurité, Jean-François Lelièvre, a demandé quatre personnes supplémentaires pour la police aux frontières à Figari.
Ces huit fonctionnaires suffiront-ils à combler les manques ?
Non, bien sûr que non. Mais ce premier geste montre que nous avons été entendus. Nous avons perdu vingt hommes à la sécurité publique depuis 2007. Ces huit personnes permettront aux brigades de travailler en sécurité. Nous avons toujours besoin de davantage de personnel. Nous avons un portefeuille d’heures supplémentaires de 50.000 heures qui augmente chaque année, rien que pour le département de Corse-du-Sud. Je vous laisse imaginer ce que ça représente au niveau national. L’administration est largement débitrice envers les fonctionnaires de police. Et pourtant, nous continuons à faire notrKe travail. En général, les fonctionnaires les prennent avant de partir en retraite.
Interview réalisée par M.K